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Les naturalistes


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moyennes».8 Il s’efforce donc d’effectuer un relevé statistique des conditions météorologiques sur le long terme, afin d’étudier plus à fond le climat des Grisons. Brügger recevra pour son projet le soutien de scientifiques renommés. Le physicien et météorologue allemand Ludwig Friedrich Kämtz – il est considéré comme le cofondateur de la météorologie moderne – fera un voyage en Suisse en 1858 et parlera en termes élogieux du réseau grison.9 Bernhard Studer, professeur de géologie à Berne, promit également à Brügger que son réseau météorologique se verrait «attribuer les plus hauts honneurs».10 La statistique climatique, telle que la pratiquait Brügger, était l’orientation scientifique qui prévalait dans la météorologie des années 1850. La diffusion de prévisions météorologiques ne devait s’imposer qu’une vingtaine d’années plus tard.11 Brügger s’occupe donc exclusivement des phénomènes climatiques déjà survenus. Dans le journal grison de langue allemande Die Rheinquellen, il publie quotidiennement ses propres mesures de la température de la veille.12 En juin 1858, le journal accepte de tenter une expérience, à savoir publier les mesures de la température de 20 stations le jour suivant.13 Les observateurs y participant recevront pour cela des cartes postales qu’ils rempliront après avoir effectué leurs mesures à midi et enverront à Coire par le «courrier de l’après-midi».14 Bien que la transmission des données ait réussi dans la plupart des cas, ces «rapports journaliers des stations bénévoles servant à l’étude de la météorologie dans et pour les Grisons» seront abandonnés. La collaboration avec le Bündnerisches Monatsblatt ne s’avérera pas non plus durable. Brügger avait promis à ses correspondants que les observations envoyées à temps seraient publiées dans ce mensuel.15 A partir de janvier 1858, un compte rendu des relevés météorologiques paraît chaque mois sur une pleine page sous la rubrique «Chronik». Toutefois, au bout de six mois, ces tableaux seront, là encore, supprimés. Agostino Garbald, directeur de la douane à Castasegna, à la frontière italo-suisse, et observateur météorologique, en attribue la cause au manque d’intérêt de la part des lecteurs:

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      Ill. 2: «Des perles jetées aux pourceaux»: l’intérêt du public pour les données fournies par Brügger sur la météorologie restera limité. Tableau tiré du Bündnerisches Monatsblatt, 5 mai 1858.

      «Quiconque n’est pas à moitié ou au quart météorologue ne s’intéresse nullement à la chose; il n’est pas rare que des gens tout à fait raisonnables et ayant une bonne formation demandent à quoi servent de telles observations, et, à leur sourire moqueur et leur haussement d’épaules compatissant, vous vous rendez compte qu’ils vous prennent, au moins à cet égard, pour un demi-fou. Comment s’étonner dès lors que de telles personnes ne savent pas apprécier les observations météorologiques et regrettent chaque ligne qui les éloignent des ragots colportés par les journaux. Nous avons jeté des perles aux pourceaux.»16

      Le journal n’avait donc pas réussi à convaincre ses lecteurs de l’importance des observations météorologiques. L’argument de Brügger, selon lequel l’agriculture profiterait des informations recueillies sur le climat local, ne suscitera pas un regain d’intérêt de leur part.17 Avec un enthousiasme édifiant, il continue toutefois d’espérer que chaque «Saül devienne encore un saint Paul de la météorologie».18

      LA MÉTÉOROLOGIE AU SERVICE DE LA PROMOTION DU TOURISME

      Dans la branche du tourisme, les données météorologiques susciteront nettement plus d’enthousiasme que chez les lecteurs des journaux. La mesure des températures et des précipitations permettait de prouver de manière scientifique les agréments du climat local et ouvrait ainsi un potentiel économique. Brügger s’intéressait surtout aux particularités climatiques du canton des Grisons. Dès 1858, il collabore avec la Société des sources thermales de St-Moritz. Cette société privée gérait les sources minérales de la station thermale en pleine expansion. Le climat local avait toutefois mauvaise réputation dans la «littérature touristique la plus récente». A tort, comme Brügger l’expliquera à l’aide de ses mesures.19 En 1860, la Société des sources thermales le chargera d’écrire un article sur la climatologie pour compléter un ouvrage de médecine thermale sur St-Moritz.20 Il rédigera un autre article qui lui sera rémunéré 275 francs pour les thermes de St-Moritz et de Bormio.21 Les sources minérales de la station italienne de Bormio appartenaient depuis 1859 au conseiller national Andreas Rudolf von Planta, qui occupait en même temps la fonction de président de la Société des sources thermales de St-Moritz. A St-Moritz comme à Bormio, les employés des établissements de cure enregistreront chaque jour, selon les instructions de Brügger, les données météorologiques et les lui enverront régulièrement afin qu’il les corrige et les traite. Dans un ouvrage sur les thermes de Bormio «destiné à toute sorte de public», Brügger fournit la preuve, à l’aide de ces mesures, que les températures locales sont supérieures à celles de diverses stations thermales européennes situées à la même altitude et qu’il pleut relativement peu à Bormio.22 Eduard Killias, président de la Société grisonne des sciences naturelles, fait alors l’éloge de la climatologie comparée de Brügger, comme étant «très instructive».23 Selon lui, c’était grâce à leurs conditions climatiques que les stations grisonnes n’avaient pas à redouter «la concurrence avec des stations thermales mondiales depuis longtemps célèbres».24 De même que les naturalistes, ceux qui profitaient de la manne du tourisme médical prétendaient que dans leur canton, la nature avait un caractère spécifique. L’argumentation de Brügger, basée sur des données quantifiées, faisait de cette prétention sans preuve du climat excellent des Grisons un fait scientifiquement établi.

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      Ill. 3: L’article réalisé à la demande de la Société des sources thermales en 1860 devait prouver que la Haute-Engadine offrait, «comme nul autre pays» d’Europe, des «températures agréables» à une altitude de 1800 mètres au-dessus de la mer. Vue de St-Moritz vers 1885.

      DE L’ENTHOUSIASME DES DÉBUTS AU «JOUG» DE L’OBSERVATION QUOTIDIENNE

      Pour pratiquer une statistique climatique scientifiquement reconnue, il était essentiel de disposer de séries de mesures ininterrompues. Au XIXe siècle, de nombreux réseaux de mesures échouèrent toutefois à cause du manque de fiabilité des observateurs auxquels ce travail pénible était devenu insupportable. Pour Brügger également, la discipline parmi ses collaborateurs bénévoles allait poser problème.25 Il considérait les observateurs météorologiques comme un «corps franc» qui avait suscité l’enthousiasme scientifique dans tout le canton, mais était menacé par les «esprits hostiles de la léthargie et de l’inertie qui rodaient».26 Noter précisément chaque matin, à l’aube, et à midi les observations météorologiques et organiser un remplaçant à chaque absence, constituait pour la plupart des participants une tâche fastidieuse. Certains s’accrochaient et remplissaient consciencieusement leur devoir, tandis que d’autres interrompront leurs relevés par manque de temps ou de motivation. Süsette Gyger, fille de pasteur, qui travailla comme observatrice pendant trois ans, annonce, après un changement de domicile, qu’elle est heureuse d’avoir pu «se débarrasser du joug» des relevés météorologiques.27 D’autres observateurs justifieront l’interruption des mesures en indiquant qu’il y avait longtemps qu’ils n’avaient rien entendu sur «l’avancement des travaux».28 L’observateur de Sankt Antonien, à la frontière de l’Autriche, avait même l’impression que Brügger ne s’intéressait «pas particulièrement» à son travail.29 N’ayant pas la possibilité d’assurer un encadrement intensif, Brügger essaiera de motiver ses collaborateurs en soulignant l’importance scientifique de leur tâche et en leur promettant que «ce fruit récent de l’arbre de la connaissance scientifique»30 leur apporterait bientôt une reconnaissance