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Les naturalistes


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de 600 habitants, situé à huit kilomètres de Coire, sur la route du col de la Lenzerheide, avait essayé de se profiler comme destination de tourisme médical dans les années 1860. L’un des deux hôtels de Churwalden appartenait à un parent de Brügger, Johann Georg Brügger. Il rédigera pour ce dernier un prospectus ainsi qu’une annonce intitulés: «Alpen-Kurort Churwalden».47 L’élément principal de cette publicité était un tableau dans lequel Brügger comparait les températures mesurées à Churwalden avec celles de neuf autres localités de Suisse.

      D’après les chiffres que Brügger avait puisés dans la publication officielle du Bureau central, au cours des mois de juin, juillet et août 1864, il avait plu moitié moins à Churwalden qu’à Beatenberg, dans l’Oberland bernois; les orages y étaient trois fois plus rares qu’à Zurich, et la température moyenne y était plus élevée qu’à Chaumont, près de Neuchâtel, pourtant située 200 mètres plus bas. Brügger commente alors le tableau comparatif par ces mots: «Rien ne peut être plus persuasif et convaincant que la logique rigoureuse de ces chiffres.»48 Le professeur genevois Emile Plantamour proposera d’autres arguments imparables pour les «conditions exceptionnelles régnant à Churwalden» dans une analyse des températures hivernales du réseau suisse.49 Il avait calculé la moyenne à différentes altitudes. Or, Churwalden dépassait ces valeurs de 2,83 degrés Celsius et présentait ainsi la plus importante anomalie positive parmi 69 stations comparables.50 Les décimales après la virgule (2,83) donnaient une impression d’exactitude qui n’aurait pas pu être atteinte par un réseau météorologique d’observateurs humains. Pour Brügger, il ne s’agissait pas de relativiser les résultats: ces chiffres fournissaient la preuve scientifique des conditions climatiques idéales régnant à Churwalden. Le climat doux des régions alpines sera de plus en plus considéré comme un facteur essentiel pour la convalescence des malades. Dans l’âpre lutte à laquelle se livraient les destinations suisses, Churwalden pouvait donc se positionner comme station climatique d’altitude.

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      Ill. 6: De 1870 à 1898, Brügger travailla comme professeur à l’Ecole cantonale de Coire. Dans le domaine de la recherche en sciences naturelles, il était considéré comme «le meilleur connaisseur» du canton des Grisons. Portrait non daté.

      Brügger met en outre les connaissances climatologiques au cœur du débat dans la question de la construction des tunnels. Durant les longues années de controverses à propos du meilleur endroit pour percer un tunnel transalpin, où les partisans du tunnel du Gothard finiront par s’imposer, Brügger essaiera, au début de 1864, de présenter les avantages du Lukmanier. Il analyse pour cela la diffusion des plantes dans les deux régions, qui lui permet d’en déduire les conditions climatiques. Selon lui, la comparaison entre leur végétation montrait que le Lukmanier était, d’un point de vue climatologique, clairement privilégié «par la nature».51 Etablir le lien entre la botanique et la climatologie était une démarche typique de la part de Brügger. Son intérêt pour la météorologie était né de sa passion pour la botanique, sur laquelle il concentrera ses recherches sa vie durant. Brügger partait du principe que les modifications dans la végétation conduisaient à des changements climatiques, et non l’inverse. Il critiquait donc sévèrement la déforestation dans le canton des Grisons. Lorsque, en mai 1858, de grosses chutes de neige se produisirent, il fit le lien avec la déforestation. L’abattage des forêts de montagne était selon lui la cause directe «du climat dont l’équilibre a été détruit, auquel on a porté atteinte jusque dans ses rouages internes, et qui est donc devenu irrégulier et excessif».52 Qu’il s’agisse de projets de tunnels ou de questions concernant l’industrie forestière, Brügger prenait activement part à de nombreux débats dans le canton des Grisons. Pour lui, ses analyses scientifiques étaient l’expression de son «attachement indissoluble et de son enthousiasme» à l’égard de son «cher canton d’origine, les Grisons».53

      ÉTUDES LOCALES LOIN DES CENTRES SCIENTIFIQUES

      Après un séjour de dix ans à Zurich, Brügger retournera dans son canton natal en 1870, où il enseignera pendant les 28 années suivantes comme professeur d’histoire naturelle et de géographie à l’Ecole cantonale de Coire. A cette époque, il est un membre actif de la Société grisonne des sciences naturelles, dont il sera le vice-président de 1873 à 1879. Il prononcera plus de 50 conférences lors des assemblées de la société.54 Les thèmes abordés, qui allaient des espèces botaniques rares du Musée d’histoire naturelle aux criquets migrateurs, du foehn et de la pêche aux gisements de houille, témoignent de son champ d’intérêt très vaste.55 En raison de son activité scientifique polyvalente, Brügger était considéré comme appartenant à «la vieille école des naturalistes».56 Le président de la Société grisonne des sciences naturelles écrira à l’occasion de son décès, en 1899, que le défunt avait été «le meilleur connaisseur de notre beau pays des Grisons» et «connu comme tel, souvent cité et consulté loin à la ronde».57

      La «vieille école» des naturalistes n’était guère représentée dans les nouvelles institutions scientifiques. Les chercheurs des centres académiques comme Zurich se démarquaient de plus en plus de ceux qui n’étaient pas rattachés à un établissement universitaire. Alors que les articles sur la flore publiés par Brügger, auxquels il avait travaillé durant des années, suscitaient un vaste écho dans les Grisons, le jugement des botanistes des universités était fort différent. La plupart de ses descriptions de la flore étaient considérées comme erronées par les milieux académiques.58 Cette violente critique ne fut pas sans laisser de traces chez Brügger. Il vivait retiré et continua, inébranlablement, à rassembler du matériel botanique, zoologique, climatologique et historique sur le canton des Grisons pendant ses loisirs. Il ne terminera jamais l’ouvrage qui devait être la synthèse de sa vaste collection de plantes, La flore du canton des Grisons. En revanche, il achèvera avec succès un projet qui combinait ses intérêts historiques et météorologiques. De 1876 à 1888, il publiera à compte d’auteur les six volumes de sa Natur-Chronik der Schweiz insbesondere der rhätischen Alpen, un répertoire des événements météorologiques ayant eu lieu dans les Grisons du XIe au XVIIIe siècle. La devise mise en exergue dans le premier volume dit ceci: «Le météorologue n’est rien d’autre que l’historiographe des conditions climatiques: il ne s’agit donc pour lui que d’examiner les lois des événements passés.»59 Tandis que le Bureau central à Zurich élargissait, à la fin des années 1870, son principal domaine de travail, la statistique climatique, en y intégrant les prévisions météorologiques, Brügger abordait désormais la météorologie sous la forme d’une histoire naturelle. A Zurich, on rendra hommage aux recherches inlassables qu’il avait effectuées pour sa chronique de la nature, mais en même temps, on lui reprochera de ne pas avoir poursuivi l’analyse scientifique du matériel rassemblé.60 Les pratiques de la «vieille école des naturalistes», qui consistaient avant tout à collectionner, décrire et répertorier, ne suffisaient plus pour être reconnu dans les grands centres scientifiques. Le processus d’institutionnalisation conduira finalement, à la fin du XIXe siècle, à une scission entre, d’une part, la recherche académique, et, d’autre part, l’histoire naturelle pratiquée comme un passe-temps.

      BERNHARD C. SCHÄR

      ÉVOLUTION, SEXE ET RACE

      On the Origin of Species de Darwin dans la traduction de Clémence Royer

      Toute politique devrait se baser sur le principe suivant: «Les hommes sont inégaux par nature».1 C’est ce qu’écrivait Clémence Royer en 1862 dans la préface de sa traduction de l’ouvrage de Charles Darwin On the Origin of Species (en français: De l’origine des espèces). Dans cet ouvrage paru en 1859 et qui fera date, le naturaliste anglais expose pour la première fois sa théorie de l’histoire de la nature. Selon lui, les animaux et les plantes n’ont pas été créés