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Les naturalistes


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3: Flâner dans la nature – le Jardin botanique de Genève en 1824.

      COLLECTIONNER POUR UNE NOBLE CAUSE

      Dès les années 1820, des collections privées de naturalia entrèrent en possession des universités de presque toutes les grandes villes de Suisse qui disposaient d’établissements académiques spécialisés et furent également utilisées pour les cours. Ainsi le modèle de la collection comme instrument de recherche et matériel pédagogique finira-t-il par s’imposer. Les musées scientifiques n’étaient toutefois pas encore des institutions de formation publiques, tels qu’on les connaît aujourd’hui. Au début, on ne pouvait visiter les collections que certains jours, le mardi après-midi à Genève et le dimanche après-midi à Bâle. Le reste du temps, elles étaient réservées aux professeurs et aux étudiants. Mais on était tout à fait conscient du potentiel que recelaient les musées pour la formation publique. Le botaniste Karl Friedrich Meisner décrit le but du Musée d’histoire naturelle de Berne de la manière suivante:

      «Les cabinets d’histoire naturelle ne peuvent avoir – comme les collections en tout genre – qu’un seul objectif pertinent: encourager l’étude des objets collectionnés et l’instruction. On rassemble une quantité d’objets recueillis dans la nature, on les expose les uns à côté des autres dans un certain ordre, on indique leur nom, le lieu où on les trouve et où ils ont été découverts, etc. Pourquoi? On ne peut imaginer un but plus raisonnable que celui-ci: en conservant et en classifiant une série d’objets naturels, éveiller ici et là l’amour des sciences naturelles qui sommeille en chacun de nous et lui donner pour ainsi dire le premier choc qui l’incitera à se manifester; offrir la possibilité au profane comme au savant de corriger leurs conceptions grâce à l’observation et la comparaison et d’enrichir ainsi leurs connaissances.»28

      Avec le regroupement des collections et leur intégration dans l’enseignement et la recherche scientifiques, les nouveaux centres de recherche en sciences naturelles virent le jour. Il ne s’agissait pas seulement pour eux de générer des connaissances sur la nature et de les sauvegarder, mais de les rendre aussi accessibles à un plus vaste public. Les musées et les jardins botaniques jouèrent à cet égard un rôle capital, en tant qu’établissements de recherche et d’enseignement, pour l’ancrage de disciplines telles que la biologie, la géologie ou l’anthropologie dans le paysage universitaire suisse. Des naturalistes comme Augustin Pyrame de Candolle essayaient, avec leurs modèles de classification et leurs nomenclatures, sur lesquels ils se basaient pour exposer les naturalia, de «mettre de l’ordre» dans la nature, au sens propre du terme. Les musées scientifiques servirent par ailleurs à faire connaître à un public plus vaste les phénomènes naturels et à les illustrer au moyen des objets exposés.29 Grâce ces nouveaux espaces de connaissance, la nature entrait directement au centre de la vie bourgeoise, à savoir dans les villes. Les expositions incitaient à réfléchir sur le rapport entre l’homme et la nature. En regardant les objets exposés dans les musées d’histoire naturelle et les jardins botaniques, les scientifiques et les visiteurs se trouvaient confrontés à des questions existentielles: comment est apparue la Terre? comment se sont développées les différentes espèces? d’où vient l’homme? L’ouverture croissante des collections au public, au milieu du XIXe siècle, permit aux citoyennes et aux citoyens de participer plus activement aux discussions concernant ces questions, non seulement en mettant à la disposition des établissements de recherche leurs collections, mais aussi en communiquant leurs propres observations ou points de vue sur la nature.30 Désormais, la recherche en sciences naturelles n’est plus l’affaire privée de quelques bourgeois aisés; elle s’ouvre aux citadins et à un public cultivé. Ils n’étaient pas obligés d’entreprendre de longs périples pour cela: la nature leur était, en quelque sorte, présentée devant leur porte, et qui plus est, sous une forme ordonnée. Les musées ou les jardins botaniques constituaient une plate-forme visant à générer et à traiter les nouveaux savoirs sur la nature.31 Et avec ce savoir qui était mis sous leurs yeux, loin de la nature, les habitants commencèrent à regarder celle-ci d’un autre œil.

      FRANZISKA HUPFER

      LE TEMPS EN TABLEAUX

      Christian Gregor Brügger et l’institutionnalisation de la météorologie

      «Un disciple des sciences naturelles […] a entrepris depuis quelques années, de sa propre initiative, de couvrir notre Réthie alpine, très ramifiée, d’un réseau de stations pour l’observation du temps et de la nature», annonçait un journal grison en 1859.1 Ce «naturaliste assidu» s’appelait Christian Gregor Brügger (1833-1899). Trois ans plus tôt, il était rentré dans son canton natal des Grisons, après avoir terminé ses études à Munich et à Innsbruck, et, de sa propre initiative, il avait mis en place un réseau d’observation météorologique. Le jeune homme, qui n’avait alors que 23 ans, est convaincu qu’une observation empirique et comparée du temps permettrait d’identifier les lois régissant les phénomènes météorologiques. Il veut comprendre comment ces derniers sont influencés par les «mouvements des masses d’air terrestres» et quels sont leurs effets sur la végétation.2 Depuis le XVIIIe siècle, les rapports d’observateurs de différentes contrées faisaient partie des méthodes typiques de la recherche en sciences naturelles.3 Il essaie donc de trouver des observateurs bénévoles dans le plus grand nombre possible de localités du canton des Grisons. Il leur remettait un tableau et des instructions leur enjoignant de noter deux fois par jour la température, le type de précipitation, le degré de couverture nuageuse et la direction du vent.4 A la fin de chaque mois, ses correspondants lui envoyaient leurs tableaux.

      Afin de pouvoir comparer les résultats de ces mesures, Brügger demande aux observateurs d’acheter un thermomètre du même type. Certains s’équiperont également d’un baromètre pour mesurer la pression de l’air ou d’un ombromètre qui leur permettait de mesurer les précipitations. Les différents instruments devaient être calibrés, ceux de Brügger servant d’étalon. Des connaissances préalables n’étaient pas nécessaires pour participer au projet. Brügger recrute ses collaborateurs – pour la plupart, des hommes – par le biais de contacts personnels. Il sera soutenu dans cette tâche par un particulier, le châtelain Carl Ulysses von Salis-Marschlins (1795-1886), un éminent érudit qui procédait, lui aussi, à des mesures météorologiques et le mettra en relation avec de nouveaux observateurs. D’autres contactent directement Brügger, proposant de collaborer à cette entreprise «afin de pouvoir servir la science».5 Les observateurs, qui n’avaient, à quelques exceptions près, aucune formation en sciences naturelles, considèrent leur intégration dans un tel projet scientifique comme une grande preuve de confiance. Le pasteur de Zernez, Otto Guidon, remerciera ainsi Brügger de l’«honneur» qu’il lui a fait en l’engageant comme collaborateur.6 Aux yeux du naturaliste, les pasteurs semblaient particulièrement doués pour cette tâche. Ils constituent en tout cas le groupe professionnel le plus fortement représenté parmi les observateurs. Le réseau météorologique sera très vite connu dans le canton des Grisons, car les journaux publient les comptes rendus des résultats de ces mesures. La Bündner Zeitung fait paraître au début de chaque mois un tableau présentant les températures du mois précédent. Le nombre de stations, qui était encore de dix en avril 1857, s’accroît, passant à 37 en juillet 1858.7 Les tableaux comprenaient les températures moyennes mensuelles, le jour où le thermomètre atteignait son niveau le plus bas et le plus élevé, la plus forte fluctuation de température journalière ainsi que les valeurs maximales et moyennes de fluctuation de température journalière, la direction du vent, et enfin, le nombre de jours de neige, de pluie, de brouillard ou de nébulosité.

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      Ill. 1: Avril 1858: dans le village de Martina aux Grisons, le douanier Andreas Bärtsch notait trois fois par jour la température, le type de précipitations, le degré de couverture nuageuse et la direction du vent. A la fin du mois,