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An der Front und Hinter der Front - Au front et à l'arrière


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d’opérations, du côté allemand, comme le « Ober Ost » (Oberbefehlshaber der gesamten Deutschen Streitkräfte im Osten) en novembre 1914. Pour dépasser le blocage militaire du front occidental, les deux adversaires eurent recours à des alternatives stratégiques. Les Alliés surtout, France et Grande-Bretagne, essayèrent d’échapper au blocage par une stratégie périphérique, c’est-à-dire par des actions offensives sur les fronts d’Europe centrale, occupés plus faiblement, comme en Grèce ou à Gallipoli. Cette stratégie s’avéra efficace seulement après que le front bulgare se fut effondré, presque d’un seul coup, en septembre 1918, alors que le front de Salonique anglo-franco-serbe avait été peu actif pendant trois ans. Selon Georges-Henri Soutou, les deux adversaires essayèrent, en 1915/16, de substituer aux stratégies d’anéantissement, qui avaient échoué, des stratégies d’attrition – voir notamment le blocus de l’Allemagne par les Alliés, et le maintien des Allemands sur le théâtre d’opérations sanglant de Verdun après l’échec de la percée. La stratégie d’attrition ne réussit cependant pas à l’Empire allemand à Verdun, tandis que le blocus initié par les Alliés mit beaucoup de temps avant d’avoir de l’effet. En 1917/18 suivit une stratégie de guerre totale, qui s’accompagna d’une mobilisation renouvelée de la société, de l’industrie et de la politique, d’une guerre systématique contre les civils et d’une guerre sous-marine sans limites. Ce fut seulement grâce aux innovations tactiques des années 1916 à 1918 – tactique des troupes d’assaut, nouvelle procédure de tir de l’artillerie, usage des chars comme arme de percée – que la guerre de mouvement revint à partir du début de 1918 sur un front occidental auparavant figé. Selon Georges-Henri Soutou, cette évolution s’avéra décisive pour l’issue de la guerre, à côté des conséquences de la stratégie périphérique des Franco-Anglais.

      De nouveaux champs de bataille émergèrent cependant aussi au sens géographique, car cette guerre devint très vite une guerre mondiale, avec une participation extra-européenne importante (Japon, Empire ottoman, Etats-Unis), y compris sur des théâtres d’opérations extra-européens. Inversement, des soldats du monde entier combattirent sur le théâtre d’opérations européen, depuis les Australiens et les Néo-Zélandais à Gallipoli, jusqu’aux tirailleurs sénégalais au Chemin des Dames, en passant par les Canadiens à Vimy Ridge. Parallèlement à l’apparition de théâtres d’opérations extra-européens à proprement parler, éclatèrent aussi des conflits internes, comme le montre Stig Förster, telles les luttes pour l’indépendance, avant tout dans les colonies britanniques, ou l’extermination de minorités, qui, dans le cas des Arméniens, devint par son ampleur un véritable génocide.

      La mobilisation des forces et des ressources au profit des différentes nations figure assurément au nombre des champs thématiques les plus importants pour comprendre la Première Guerre mondiale. On observe de notables différences dans le recrutement des soldats suivant les Etats, aussi bien avant que pendant la guerre. Des différences dues avant tout aux cultures et aux caractères nationaux, comme le montre la contribution de Ian Beckett, qui analyse l’évolution du recrutement dans l’armée britannique. La petite armée de métier britannique entra dans la guerre avec l’idée qu’elle serait courte. Cependant, plus la guerre durait, plus elle prenait de l’ampleur, et plus l’armée britannique eut besoin de nouvelles forces. Elle les chercha d’abord en attirant les réservistes et en enrôlant des volontaires ; ce fut seulement quand ce réservoir humain se tarit que les Britanniques introduisirent la conscription. Mais ils l’appliquèrent de façon nettement moins stricte que dans les autres pays européens.

      En Autriche-Hongrie, comme dans la majeure partie des armées européennes, la conscription existait déjà avant la guerre. Dans les choix relatifs au volume, à l’équipement et au niveau de formation de l’armée austro-hongroise de 1914, il faut voir la grande influence, à la fois, de la question des nationalités, de la construction de l’Empire sous la forme d’une double monarchie, et de la faiblesse relative des dépenses militaires. Les énormes pertes de la première année de la guerre, notamment dans le corps des officiers de métier, rendirent des restructurations nécessaires, ce qui correspondait aussi aux attentes d’ordre, politiques comme sociales. Ironie de l’histoire, comme l’explique Günther Kronenbitter, la désagrégation de l’armée multinationale austro-hongroise, que l’on craignit à plusieurs reprises de voir se produire, n’arriva pas. Les difficultés croissantes de l’approvisionnement furent bien plus déterminantes dans la défaite des Austro-Hongrois. Elles prirent en effet des proportions catastrophiques à partir de 1917.

      Roger Chickering, pour sa part, s’est penché sur la question de savoir si la Première Guerre mondiale fut une guerre totale, et, si oui, dans quelle mesure, et à partir de quand. Il plaide pour une nouvelle approche, qui ne se contente pas d’établir une distinction entre les guerres totales et les guerres qui ne le seraient pas. Il s’agit de scruter avec plus de finesse les tendances à la guerre totale dans le déroulement des conflits. Roger Chickering applique cette méthode de façon exemplaire à la Première Guerre mondiale et identifie trois phases possibles (l’automne 1914, la longue année 1915, le tournant des années 1917/18). À partir de ces phases, il montre les contradictions inhérentes au concept historique de guerre totale, et permet de comprendre que les différentes nations, à des moments différents, ont mené une guerre totale à des degrés divers. En fin de compte, selon Roger Chickering, la guerre totale devrait être comprise bien moins comme un état de fait que comme un processus, au cours duquel il s’agissait de maîtriser le défi de fardeaux conséquents, matériels et moraux, que la guerre engendrait pour les nations qui y étaient impliquées.

      Les principaux problèmes de conduite de la guerre mis en lumière dans la contribution de Georges-Henri Soutou se retrouvent dans les contributions de Dimitry Queloz et de Gerhard Gross, relatives à l’évolution des conceptions opératives et tactiques au cours de la guerre, respectivement dans l’armée française et dans l’armée allemande. Dimitry Queloz soutient à ce sujet que la doctrine de l’offensive à outrance, intégrée dans plusieurs directives sur le combat seulement à partir de 1913, fut publiée trop tard pour pouvoir influer sur le combat dans l’armée française au début de la guerre. Ainsi « libérées de la doctrine », les troupes françaises, dès les premières semaines de la guerre, adaptèrent leur manière de combattre aux réalités de chaque champ de bataille. La poursuite de la réflexion et du développement technologique en matière de combat défensif appuyé sur les fortifications aboutit à une large modernisation de l’armée française en 1918 ; Dimitry Queloz pointe les voies de développement et les impasses que connut l’armée française en termes d’innovation militaire durant le conflit.

      Gerhard Gross, quant à lui, aborde principalement l’échelon opératif de la conduite de la guerre, du côté allemand. Il en montre les graves lacunes, en se fondant sur la monographie qu’il a publiée sur ce thème. Sa critique vise aussi, indirectement, la thèse développée récemment par plusieurs historiens militaires anglo-saxons, qui donnent selon lui une image trop positive de l’évolution de la conduite du combat du côté allemand, et qui interprètent les succès tactiques et opératifs de l’armée allemande pendant la Première Guerre mondiale comme le point de départ de la série de victoires que les Allemands rencontrèrent au début de la Seconde Guerre mondiale. Selon Gerhard Gross, entre 1914 et 1918, les concepts opératifs de l’armée allemande basés sur la mobilité, l’attaque, la vitesse, l’initiative, la liberté d’action, le centre de gravité, la surprise, l’enveloppement et l’anéantissement échouèrent presque tous, et ce, du fait du manque de mobilité ou de la lenteur des troupes, du fait de la capacité limitée de l’attaque tactique, et du fait des carences structurelles de la conduite des opérations. Certes, Gerhard Gross reconnaît les succès opératifs de l’armée allemande sur le front oriental, comme la victoire défensive de Tannenberg en 1914, l’offensive d’été après la percée permise par la bataille de Gorlice-Tarnów en 1915, ou la conquête de la Roumanie en 1916. Mais il les qualifie simplement de demi-succès, car le but effectif de la pensée opérative allemande, à savoir l’enveloppement et l’anéantissement des forces adverses, ne réussit quasiment jamais. Cela explique, de façon symptomatique selon Gerhard Gross, le destin de l’offensive allemande