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An der Front und Hinter der Front - Au front et à l'arrière


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certain nombre de missions conduisirent des officiers suisses sur presque tous les fronts européens de l’époque et qu’elles contribuèrent au moins à mettre le corps des officiers suisses relativement au courant de l’actualité de la guerre. Sur la base de ces missions au front, l’armée suisse intégra, plus ou moins, les expériences de guerre d’autres armées et fut donc en mesure de moderniser quelque peu l’instruction de ses propres troupes dans la deuxième partie de la guerre. Elle fut notamment influencée par l’armée française et par l’armée allemande. Or, comme les modèles de développement de ces deux armées étaient en partie opposés, il fut difficile, pour l’appareil militaire suisse, de définir une voie autonome pour la conduite de la guerre et du combat. L’adaptation effective des Suisses à l’évolution militaire révolutionnaire de la Première Guerre mondiale devait advenir seulement, progressivement, durant l’entre-deux-guerres.

      Quels enseignements – en tenant compte du caractère problématique de cette notion – les armées européennes tirèrent-elles de ce conflit ? Markus Pöhlmann soutient nettement, dans sa contribution sur l’armée allemande après 1918, que la Première Guerre mondiale fut une source majeure d’expérience pour le corps des officiers allemands, et que les expériences et innovations du temps de guerre eurent beaucoup d’effet sur l’évolution de la conduite de la guerre terrestre à l’échelon tactique. Toutefois, les changements intervenus après la guerre dans les domaines de la politique, de la société, de l’économie et de l’industrie de l’armement – par exemple les prescriptions militaires contraignantes du traité de Versailles – eurent un tel impact que, dans l’entre-deux-guerres, la Première Guerre mondiale perdit progressivement son rôle moteur comme facteur d’évolution possible du domaine militaire. Parallèlement, Markus Pöhlmann accorde une grande importance aux aspects de la guerre totale qui eurent un impact sur l’ensemble de la société (organisation de la conscription, mobilisation des ressources, activité de propagande, etc.). Dans l’entre-deux-guerres, ce ne fut pas l’armée allemande qui se chargea d’abord de ces tâches, mais des organismes et acteurs civils qui développèrent, derrière l’idée directrice des « sciences de la défense », une « méta-science de la guerre », certes de courte durée, mais globale et d’esprit pratique.

      En contrepoint, Adrian Wettstein concentre son attention sur une armée française qui, dans l’entre-deux-guerres, eut tendance d’abord à se complaire dans la gloire de sa victoire et, de ce fait, connut une certaine stagnation intellectuelle, conceptuelle et matérielle. Après l’expérience douloureuse de la Guerre mondiale, la réflexion doctrinale fut dictée par la volonté de minimiser les pertes humaines. Cette orientation imprégna de façon décisive la doctrine française de la « bataille conduite », mise par écrit pour la première fois en 1921. Du fait de la diminution des dépenses d’armement, d’un arrêt des progrès technologiques des armements et du raccourcissement de la durée du service militaire, on ne réfléchit plus vraiment à cette façon de combattre jusqu’en 1940, et la doctrine française commença à stagner au plus tard à partir des années 1930.

      Les considérations de Wim Klinkerts concernant les débats militaires néerlandais des années 1918 à 1923 dépassent aussi les seuls événements militaires. Après la fin de la guerre, les principaux représentants du corps des officiers, qui n’avaient pas participé à la guerre, essayèrent de continuer d’orienter le développement militaire des Pays-Bas vers une armée moderne ; de ce fait, on chercha moins à prendre modèle sur l’Allemagne, comme il était pourtant de tradition aux Pays-Bas, qu’à s’intéresser aux évolutions du côté français. L’esquisse de conceptions militaires alternatives à ces modèles vint moins du monde militaire que du monde politique ; la gauche néerlandaise s’insurgea contre l’adoption de conceptions militaires étrangères classiques et exigea des contre-modèles adaptés aux possibilités du petit Etat. La population, quant à elle, se désintéressait largement des affaires militaires, et ces discussions l’atteignirent peu. Cette population, de tendance pacifiste, concevait l’armée essentiellement comme une source de dépenses financières, et ressentait le service militaire obligatoire comme une ingérence de l’Etat dans l’organisation de la vie de chaque individu.

      Dans l’autre petit pays, en Europe centrale, que la guerre laissa intact, à savoir la Suisse, les prises de position ne furent pas aussi radicales. Comme Michael Olsansky le montre par l’exemple du discours de Hans von Seeckt devant la Société zurichoise des officiers en 1930, le public, en Suisse, s’intéressait aux questions militaires. Toutefois, ici aussi, les budgets militaires serrés et le manque d’acquisitions d’armements après la guerre empêchèrent le commandement militaire suisse de pouvoir moderniser amplement le mode de combat de l’armée suisse. Plusieurs freins inhérents au système empêchèrent le commandement militaire suisse de publier avant 1927 une première directive officielle de l’après-guerre pour le combat ; celle-ci constitue un exemple type pour une réflexion sur la capacité d’adaptation de l’armée suisse dans l’entre-deux-guerres. Quant à Sönke Neitzel, il apporte une contribution à la compréhension de l’expérience de guerre des services secrets britanniques (Military Intelligence), en se demandant, notamment, combien de temps cette expérience fut prise en compte dans la réflexion, et selon quels processus elle fut exploitée.

      La mémoire de cette guerre, au cours de laquelle les différents adversaires en présence avaient combattu intensivement pendant quatre ans, à la fois très en arrière du front et sur le front, prit nécessairement des formes très variées, en partie divergentes, tout comme les formes de la commémoration et la compréhension des faits. Les questions liées à la perception de la victoire ou de la défaite, à l’évaluation de la part de responsabilité dans la guerre, de même que l’attribution de la défaite à la défaillance du front intérieur, en forment les principales facettes. Gerd Krumeich l’illustre à travers une comparaison des activités de commémoration dans l’Allemagne vaincue et dans la France victorieuse. En Allemagne, la commémoration de la guerre et la manière d’en faire le deuil n’obtinrent pas de consensus national. L’érection de monuments et de sites commémoratifs fut l’objet de récupérations politiques par la droite comme par la gauche, et les constructions des uns ou des autres furent en partie démolies par le camp adverse. Une polémique enfla sur les motifs pour lesquels l’Allemagne avait perdu la guerre, et sur les motifs qui avaient entraîné la signature du traité de Versailles, perçu comme injuste. Avec la prise de pouvoir du NSDAP s’installa une culture commémorative héroïque et revancharde. Mais, après la défaite encore plus catastrophique de la Seconde Guerre mondiale, la commémoration des morts de la Première Guerre mondiale passa à l’arrière-plan. A l’inverse, des actes de commémoration et de deuil national purent avoir lieu en France sans interruption jusqu’à nos jours. Avec l’assurance d’avoir victorieusement défendu la patrie au prix de toutes les victimes de la guerre, on érigea, sur directive nationale, un « Monument des Morts pour la France » dans chaque commune du pays et, par l’institution d’un jour annuel de célébration nationale de la victoire, le 11 novembre (jour de l’armistice), on permit une manifestation de souvenir et de deuil propre à transcender les divergences politiques. Elle devint un jour de fête fermement ancré dans la conscience nationale de la France jusqu’à nos jours.

      Selon Michael Epkenhans, l’attribution de la défaite, en Allemagne, à la défaillance du front intérieur et aux adversaires de la guerre ne résiste pas à un examen empirique ; la thèse du « coup de poignard » doit être qualifiée de « mensonge du coup de poignard ». La légende du poignard, ou le mensonge du poignard, qui mit la défaite au compte de la gauche politique, mais aussi des juifs (avec, dès 1917, l’arrière-plan des grèves dans les usines et des protestations contre la mauvaise situation de l’approvisionnement), eut dans l’après-guerre un énorme effet et exacerba les oppositions, déjà passablement virulentes, entre la gauche et la droite. L’affirmation suivant laquelle les Allemands seraient restés invaincus sur le terrain fut prise comme argent comptant, au regard de la façon dont les troupes avaient fait retraite en bon ordre depuis la France. Michael Epkenhans montre que cette affirmation ne tient pas, quand on sait l’épuisement complet des troupes allemandes après l’échec de l’offensive du début de 1918. En réalité, du fait de la supériorité en matériel,