dames avec un bouquet de fleurs. Puis, ils pénétrèrent dans le wagon. J’étais encore assise là, me demandant : pourquoi m’a-t-on permis de rester assise alors que tous les autres ont dû sortir ?
Les Asiatiques s’assirent de l’autre côté du couloir et restèrent silencieux. Je regardais les hommes ; j’étais toujours invisible, comme pour ceux d’avant. Puis le train se remit en marche. L’homme qui avait été accueilli avec un bouquet finit par me voir. Il dit quelque chose dans sa langue aux hommes qui l’accompagnaient, et ces derniers me regardèrent alors avec un regard houleux. L’homme qui parlait était leur patron ; je le compris quand je le vis lever la main pour apaiser les autres messieurs, et qu’il se leva pour venir vers moi. Il me sourit et s’inclina très discrètement, puis il me tendit la main et se présenta.
Son nom était imprononçable pour moi, mais ce qu’il me dit dans un très bon allemand m’intéressa beaucoup. Il eut l’air enchanté quand il a appris que je travaillais dans l’agriculture pour une exploitation laitière — car devant moi était assis un des plus hauts fonctionnaires du ministère nord-coréen de l’Agriculture !
Néanmoins, je trouvais terrible ce qu’il me raconta ; je n’avais jamais rien entendu de tel. La routine quotidienne dans agriculture ressemblait à celle de l’armée : le matin, tout le monde faisait la queue dans la salle des machines ! Une journée socialiste de huit heures ? Non, la Corée du Nord travaillait dix à douze heures par jour. Un tel paradis de l’agriculture paysanne, ils ne savaient certainement pas que faire avec le rendement de leur diligence ! Mais non, beaucoup de gens n’avaient pas assez pour vivre et certains mouraient même de faim.
Je lui parlais de moi : que j’avais trouvé Jésus-Christ il y a seulement quelques mois et que maintenant je traversais la vie avec lui à mes côtés. Il me prit la main, la caressa et dit doucement : « Priez pour notre pays » (ce que je fis par la suite régulièrement avec quelques amis). Il parla aussi du fait qu’il ne serait peut-être pas en liberté longtemps en rentrant dans son pays d’origine, car si un seul de ses compagnons de voyage appartenait à la police secrète, c’en serait fini pour lui.
Complètement horrifié par toutes les monstruosités que j’entendis, je lui demandais pourquoi le peuple nord-coréen ne résistait pas au régime. De nouveau, il me parla de la classe dirigeante ; cela me sembla similaire à ce que j’avais entendu dire à propos du régime nazi ; en RDA, beaucoup nous avait été appris à ce propos.
Le voyage jusqu’à Rostock passa rapidement. Il me donna quelques souvenirs de ce voyage et de lui, dont un livre d’images sur Pyongyang que je pourrais montrer plus tard à mes enfants, ainsi que diverses petites choses — j’ai d’ailleurs effectivement souvent regardé le livre d’images avec ma fille ; elle aimait beaucoup les jolies illustrations. Par la suite, j’offris ce livre à ma mère. Finalement, et avant que ces messieurs ne descendirent du train, il me prit de nouveau dans ses bras et me murmura à l’oreille : « Priez pour notre pays ! »
J’ai beaucoup réfléchi à la raison pour laquelle il m’a même demandé cette prière ; je ne pouvais qu’en conclure que lui et sa famille devaient connaître Jésus Christ. Ils avaient probablement connaissance du christianisme d’anciens temps et en avaient préservé des choses importantes. Je me suis souvent souvenu de cette rencontre, et aie gardé un lien profond avec les gens de là-bas.
Le reportage du Stern
Une fois de plus, je reçus du courrier venant de l’Ouest. Ma correspondante m’avait envoyé un article dans lequel il était écrit noir sur blanc que les fonds de solidarité de l’Allemagne de l’Est envoyés à l’Union soviétique étaient utilisés pour fabriquer des armes, et que les Russes les utilisaient aussi en Afghanistan.
J’étais choquée ! Le monde entier était probablement au courant, seuls nous qui vivions ici dans la « vallée des ignorants » ne le savions pas. En Haute-Lusace, on ne captait pas la télévision ouest-allemande, nous vivions vraiment dans l’ignorance la plus totale de ce qui se passait dans le monde. Mais maintenant, je le – et je décidais de ne pas donner un centime à la prochaine collecte de solidarité. Et la prochaine collecte arriverait certainement : à chaque fois que nous recevions notre prime de fin d’année, nous avions le « droit » de payer une cotisation de solidarité, le tout « volontairement », bien sûr.
Le jour de la collecte arriva. Je me rendis à notre réunion, la feuille avec le reportage dans la poche ; comme d’habitude, le secrétaire du parti parla de toutes sortes de choses, mais pas de comment l’argent de la collecte serait utilisé. Je lui demandais donc ce qu’il adviendrait de l’argent que nous donnions au fonds de solidaité.
Après qu’il eut assez tourné autour du pot, je posais l’article du reportage sur la table et lui dit qu’il devrait le lire, pour qu’il sache quoi répondre la prochaine fois que quelqu’un poserait la question. – Silence. Pas un mot, plus rien ne bougeait, nous aurions pu sursauter au son d’une plume tombant sur le sol tant l’atmosphère était tendue.
Visite de la Stasi
Le lendemain, je reçus la visite de la Stasi. Je ne suis certainement pas du genre anxieux, je ne l’ai jamais été, mais j’avoue que cette visite m’a fait peur. Je crus les paroles de cet homme qui marchait dans mon salon, en long et en large, chaque mot qu’il prononçait. Il commença à ouvrir mes armoires, et je sentis mon estomac se retourner : elles étaient remplies presque exclusivement de choses venant de l’Ouest, de cacao et d’oursons Haribo, de café et de collants — tout bien arrangé pour que le chocolat ne prenne pas l’odeur du savon.
Des tonnes et des tonnes de chocolat ! Mon oncle et mes correspondantes Ute et Ortrud, ainsi que le pasteur Becker du Rhin moyen s’occupaient très bien de moi. Plus tard, j’ai réalisé que j’aurais pu en donner à d’autres personnes autour de moi, mais je n’en étais pas encore à ce stade à ce moment-là, et de toute façon, personne ne s’intéressait aux dates de péremption pour les articles venant de l’Ouest.
L’homme de la Stasi, pour des raisons professionnelles, n’avait pas le droit d’entretenir des contacts avec l’Ouest — pas étonnant donc que la vue de mon armoire aux trésors ne l’apaisa pas. Mais à ce moment-là, je ne me souciais pas vraiment des boîtes d’ananas et des sachets de soupe, j’étais surtout inquiète pour le compartiment du bas. Je croisais les doigts pour qu’il laisse cette porte fermée ! Il était déjà assez en colère, c’était facile à déduire de ses remarques. Il m’a donc dit très clairement que les femmes comme moi étaient faciles à faire taire, qu’ils avaient quelques méthodes pour me réduire au silence.
Seigneur Jésus, ne le laissez pas ouvrir ce dernier compartiment ! Mais c’est ce qu’il fit — et il vit la radio, qui n’était pas de la production de la RDA et avec laquelle on pouvait aussi capter les ondes de l’Ouest (ici, cela dit, seulement Radio Luxemburg sur UKW 49,2 avec de la musique géniale). À ce moment-là, il fulmina et me cria dessus.
Puis, il partit. Je tremblais intérieurement comme une feuille. Pendant des semaines et des mois, je ne pus en parler, tant la peur était profonde.
Un jour, mon pasteur s’approcha de moi et me demanda si tout allait bien, c’était inhabituel que je sois aussi nerveuse et renfermée. J’eus enfin l’occasion d’en parler à quelqu’un. J’aurais dû lui dire tout de suite, me dit-il, il avait constamment des visites comme celle-ci, de ces « compagnons », et il me donna quelques conseils et indications sur ce que je ne devais absolument pas faire, à quel moment je devais me taire, dans quelles pièces je ne devais pas parler de politique, déjà certainement pas dans mon appartement. Encore aujourd’hui, je ne sais pas qui avait raconté l’histoire avec l’article du Stern à la Stasi. Plus tard, après la chute du communisme, je lus dans le dossier de ma voisine (elle me rendait très souvent visite) qu’elle avait rapporté une discussion où je disais que je souhaitais que ces criminels aient la diarrhée et les bras courts. J’ai mis du temps à trouver ça drôle.
Après la chute du communisme,