Carmen Paul

Le Sabot et le Ciel


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et je n’en croyais pas mes oreilles ! Qu’est-ce qu’il était en train de lire ? La colère me montait, j’aurais aimé partir immédiatement ! Quelle impertinence, il était en train de parler de moi !

      Des images de ma propre vie apparurent devant mes yeux, des choses que j’avais ressenties comme normales, mais qui soudain grondaient en moi, se révoltaient. Car je vivais assez librement, et en ce qui concernait ma sexualité, je prenais ce que je voulais, me fichant de savoir si tel ou tel homme était par hasard marié ou non. Et non seulement le prêtre me fit me regarder dans un miroir – ce qui était déjà bien assez impertinent — mais en plus il le faisait en présence de vieilles dames, et elles entendaient tout !

      Le pasteur lisait et lisait, et que je le veuille ou non, je fus obligée d’écouter. Quand il eut fini son texte, je me levais d’un bond, dis : « Ça suffit ! » et je pris la porte. Dehors, il faisait encore froid et je vivais de l’autre côté du village ; mais je ne sentais rien du froid, parce que je bouillonnais intérieurement.

      Je ne savais pas à qui j’en voulais le plus : à moi, pour y être allée ? Ou aux vieilles dames qui savaient maintenant quel mode de vie je menais ? Ou à Hanna ? Elle avait certainement tout raconté au pasteur ! Comment le saurait-il autrement ? Cela me travailla toute la nuit. J’aurais aimé effacer ce jour-là de ma vie. Tout ça était tellement embarrassant pour moi !

      

       « Pas un mot sur toi »

      Le lendemain, j’allais voir immédiatement Hanna, et laissa exploser ma colère. Elle m’écouta patiemment et sourit même quand je lui dis que je trouvais que c’était vraiment nul qu’elle ait tout dit de moi au pasteur, ça ne le regardait en rien !

      Je me tenais devant elle, le visage rouge et complètement hors de moi – et quand j’eus fini, elle me dit simplement que ce que le pasteur avait lu ce soir-là était écrit dans la Bible depuis presque deux mille ans : « Eh bien, ne te prend pas autant au sérieux ! Il n’y a pas un mot sur toi dans la Bible. »

      Je la regardai avec étonnement : « Si c’est vrai que le pasteur ne savait rien de moi, si tu ne lui as vraiment rien dit de moi, comment pouvait-il le savoir ? Alors Jésus doit vraiment exister ! »

      La réponse d’Hanna fut claire et nette : « Oui, c’est le cas. » C’est tout ce qu’elle dit. « Et qu’est-ce que je fais maintenant ? » Cette fois, sa réponse fut un peu plus longue : « Remets ta vie à Jésus, il fera le reste ». Très bien, c’est ce que je fis, et je le fis immédiatement : je me mis à genoux dans le couloir de l’étable, à côté des arrière-trains des vaches, et c’est là que je remis ma vie à Jésus : « Jésus, viens maintenant dans ma vie et prends-la en main ».

      Quand j’eus terminé, je fus subjuguée par une telle joie que je ne pourrais pas la décrire. J’ai ri et pleuré de joie, et pendant des années, cette joie fut ma compagne.

      Plus tard, j’appris que cela s’appelle la « Conversion ». D’ailleurs, la jeune collègue avec qui j’étais venue ce soir-là s’était convertie elle aussi ; mais comme j’étais partie au début de la soirée, je ne le savais pas encore.

       Tout nouveau

      À partir du moment où j’eus donné ma vie à Jésus, ma vie changea. Ce fut une révélation pour moi — je réalisais tout ce que j’avais fait de mal.

      J’ai dû changer si vite et de manière si ostensible, que je ne l’ai moi-même pas remarqué ; mais avec le nouveau regard que je portais sur mon entourage, j’arrêtais de faire beaucoup de choses qui avaient été normales pour moi auparavant. Mon entourage s’en rendit compte et on me gratifiait constamment de flatteries comme : maintenant tu es une sainte et tu ne nous parles plus, tu préfères prier le Notre Père du matin au soir ». Ce n’était pas vrai, mais ils ne pouvaient probablement pas comprendre ce qui m’était arrivé.

      Ce n’était pas une période facile ; aujourd’hui je sais que Jésus m’a souvent protégée dans ces moments, pour que la douleur n’atteigne pas mon cœur. Au contraire, je continuais à être emplie de sa joie et j’aurais voulu le dire au monde entier, qu’on veuille l’entendre ou non ! Ce dont le cœur est plein, la bouche déborde. Du haut de mes dix-neuf ans, je pensais que je pourrais maintenant faire changer le monde.

      Quelques mois plus tard, je fus baptisée et confirmée. Avec notre pasteur de l’époque, Karl-Heinz Kluge, j’appris beaucoup et compris de plus en plus ce qui est écrit dans la Bible. Un an plus tard, je commençais à garder les groupes de jeunes chrétiens et participais bien sûr aux cours hebdomadaires pour les jeunes.

      L’« effet secondaire » fut que je découvris à cette époque la joie de jouer de la guitare, ce que j’appris assez rapidement ; si je savais lire une partition à l’époque ou non, je ne m’en souviens plus. Karl-Heinz Kluge me donna un petit livret, le « Mundorgel », et un tableau des doigtés ; en quelques semaines j’appris à l’accompagner à la guitare.

      Les « temps de repos » (appelées ainsi parce que les « temps de loisirs » n’étaient à l’époque autorisés pour les Jeunes Pionniers et la Jeunesse Libre Allemande) étaient les points forts de la vie de la communauté, et j’y suis vite devenue employée. Je fus complètement absorbée par le travail de l’église avec les enfants et les jeunes, à travers lequel j’appris à connaître beaucoup de chrétiens, y compris certains de la RFA. Je me suis sentie complètement à l’aise dans la Jeune Communauté.

       La Corée du Nord, proche de moi

      Au cours de l’été 1979, j’allais pour la toute première fois de ma vie au bord de la mer Baltique. Mon cousin Uwe*, qui avait trouvé un bungalow à Markgrafenheide pour deux semaines de vacances avec sa femme et ses deux enfants, m’avait invitée à passer quelques jours avec eux.

      La mer Baltique, c’était mon autre grand rêve ! À l’époque où j’allais à l’école, j’avais découpé toutes les photos de la mer Baltique dans des magazines et j’en avais joliment décoré le mur de ma chambre qui était en pente. À ce moment-là, mon époque d’écolière était passée depuis des années, mais le désir de l’inconnu, de l’exotisme et de la beauté m’était resté.

      Et mon rêve allait bientôt se réaliser, bientôt je pourrais voir la mer Baltique de mes propres yeux – je me réjouissais tellement ! Le train allait directement de Dresde-Neustadt à Rostock, je n’aurais même pas besoin de changer de train. Il ne s’arrêtait que dans les grandes villes.

      Le train était bondé, et j’étais surprise de voir qu’autant de personnes puissent partir en vacances. Non que cela coûtait une fortune, mais des vacances avaient tout de même leur prix, et je savais ce que gagnait le consommateur moyen en RDA.

      Mais je n’eus le temps d’y réfléchir que jusqu’à la gare de Berlin. En arrivant là où le wagon devait s’arrêter, je vis sur le quai qu’il y avait vraiment beaucoup d’agitation, comme dans une grande gare, en fait, mais cela me semblait être un joyeux bazar. Des hommes en uniforme couraient d’un bout à l’autre du quai avec excitation et se passaient des informations les uns aux autres en criant. Puis le train s’arrêta.

       Tout se passa rapidement, mais calmement : des hommes en costumes noirs entrèrent dans le wagon, prirent tous les passagers et les relogèrent dans d’autres wagons. En quelques minutes, le wagon était vide. Enfin, sauf moi, qui étais restée assise à ma place.

      Ce n’est pas possible, vous pensez ? Oui, c’est aussi exactement ce que je me disais. J’attendis patiemment que quelqu’un vienne pour me dire de quitter la voiture, m’étais même levée pour prendre mes valises, mais personne ne m’avait remarquée. Comme si j’étais invisible – personne ne me regardait, personne ne me disait rien. Maintenant, tout le wagon était vide. J’ouvris la fenêtre, une de celles que l’on rabattait, et je me mis à regarder l’agitation du dehors.

      Il