H. de Graffigny

Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune


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ici?

      —Je me nomme Mickhaïl Ossipoff, répliqua le savant, membre de l'Académie des sciences, et je demeure dans cette petite maison que vous voyez là-bas.

      Il sembla que les gendarmes avaient tressailli en entendant le vieillard décliner ses noms et qualités; cependant ils se contentèrent de dire, en s'écartant un peu:

      —C'est bien, tu peux passer, batiouschka.

      Le droschki reprit sa course et Mickhaïl Ossipoff dit à son compagnon qui s'étonnait:

      —Cela arrive fréquemment... la police a probablement éventé quelque complot nihiliste.

      A ces mots, Gontran sentit un petit frisson lui courir le long de l'échine.

      Pourquoi? lui-même, assurément, eût été incapable de le dire.

      Puis il se retourna, son oreille étant frappée par un bruit, qu'elle n'avait pas entendu jusque-là.

      Les deux gendarmes galopaient à vingt pas derrière la voiture.

      Le front du jeune homme se plissa un moment; puis il haussa les épaules et se reprit à penser à Séléna.

      Enfin le droschki s'arrêta, on était arrivé.

      Involontairement, en sautant à terre, à la suite de son compagnon, le comte de Flammermont jeta un regard soupçonneux autour de lui; la rue était déserte, la façade de la maison était silencieuse, tout semblait dormir.

      Ossipoff souleva le heurtoir de cuivre et le laissa retomber à plusieurs reprises, mais la porte demeura close.

      —Cet animal de Wassili se sera endormi, grommela-t-il.

      Et tirant de sa poche une clé, il l'introduisit dans la serrure; la porte tourna sur ses gonds et le savant entra, suivi de Gontran, dans le vestibule plein d'obscurité.

      Mais ils n'avaient pas fait trois pas que des bras surgirent de l'ombre et les saisirent, les immobilisant.

      En même temps une voix brève ordonna, au milieu de froissements de sabres, de heurts d'éperons sur les dalles:

      —Garrottez-les solidement.

      Et une lanterne subitement allumée montra aux yeux du vieillard et de son compagnon, le vestibule rempli de gendarmes et d'hommes de police. Dans un coin Wassili était étendu, garrotté et bâillonné, dans l'impossibilité absolue de faire un mouvement et de dire un mot.

      —Mais il y a erreur, s'écria le vieillard, je m'appelle Mickhaïl Ossipoff.

      —C'est précisément toi que nous cherchons, répondit d'une voix rogue un colonel de gendarmes.

      —Mais je proteste, hurla le savant, je proteste... je me plaindrai au Tzar... je...

      Il ne put dire davantage; sur un geste du colonel, deux gardawoï lui avaient posé sur la bouche un bâillon qu'ils assujettirent solidement par derrière la tête.

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      Dès le premier instant, Gontran avait fait mine de résister, il avait même fouillé dans sa poche pour y chercher son revolver; mais il avait été jeté brutalement à terre, puis désarmé, ligotté, bâillonné et il était déjà dans son droschki, étendu sur le dos, roulant des yeux furieux, mais impuissants, lorsque Mickhaïl Ossipoff fut lancé à ses côtés, avec autant de précaution qu'un paquet de vieux effets.

      Puis deux gardawoï s'assirent sur le devant de la voiture, tandis qu'une dizaine de gendarmes à cheval, le doigt sur la détente de leur revolver, entouraient le droschki.

      —Où allons-nous, mon colonel? demanda l'iemstchick d'une voix tremblante.

      —A la prison centrale, répliqua l'officier en mettant son cheval au trot.

      Et la petite troupe disparut bientôt au coin de la rue, laissant dans la petite maison silencieuse Wassili que l'on avait oublié de délivrer, et Séléna qui, dans sa chambre, dormait bien paisiblement, rêvant de la lune et de Gontran.

      A la porte de la maison, deux gendarmes à cheval, immobiles sur la blancheur de la neige, veillaient.

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       Table des matières

      COMME QUOI, FÉDOR SHARP, BIEN QUE SECRETAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ÉTAIT UNE CANAILLE

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      Eh bien! très honorable monsieur Sharp?

      —Eh bien! mon très estimé monsieur Mileradowich!

      Cela dit, les deux hommes gardèrent le silence, s'examinant du coin de l'œil, la face grave comme il convient à des personnages pénétrés de l'importance de leur mission, avec cependant, dans la physionomie, quelque chose de railleur qui eût fort donné à penser à un observateur attentif.

      L'un, grand, sec, tout en os semblait flotter dans une ample redingote noire croisée sévèrement sur la poitrine et dont les pans, démesurément longs, se drapaient en larges plis sur un pantalon également noir qui s'enroulait tout en tire-bouchonnant autour des chevilles; aux pieds, de gros souliers lacés, en cuir de vache à peine dégrossi, mettaient, à chacun de ses pas, le bruit de leurs énormes clous sur les dalles qui pavaient la pièce. Sur le col de la redingote luisant de graisse, les cheveux tombaient longs et raides, assouplis vainement à grands renforts d'huile parfumée, encadrant un visage en lame de couteau, dont les pommettes saillantes crevaient la peau toute couturée de rides et terreuse; la face, qu'éclairaient deux petits yeux profondément enfoncés dans leur orbite, mais brillants comme des éclats de jais, était entièrement rasée, à l'exception d'une forte touffe de poils gris ménagée sous le menton et qui descendait, fort longue, sur la poitrine, semblable à une barbiche de bouc.

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      L'autre personnage était quelconque, semblable à tous ceux dont un travail sédentaire et un amour immodéré de la table ont arrondi le ventre et apoplectisé la face.

      Le premier n'était autre que Fédor Sharp, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences.

      L'autre s'appelait Mileradowich et occupait à Pétersbourg les importantes fonctions de juge criminel.

      Tous deux, au moment où nous faisons leur connaissance,—c'est-à-dire le lendemain même du jour où nous avons assisté à la surprenante arrestation de Mickhaïl Ossipoff et de Gontran de Flammermont,—tous deux se trouvaient dans le laboratoire du savant qu'ils fouillaient dans tous les coins, depuis près de trois heures.

      Mileradowich, assis à une grande table, devant une feuille de papier blanc, prenait des notes sous la dictée de Sharp qui allait et venait à travers la pièce, furetant, examinant tout avec un soin extrême, agitant les cornues, soulevant les couvercles des creusets, regardant les éprouvettes, s'aidant dans ses recherches à l'aide d'un gros registre qu'il tenait à la main et sur lequel il jetait fréquemment les yeux.

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      Tout à coup, alors que le juge d'instruction penché sur son papier écrivait, Sharp s'était arrêté devant une fiole d'assez grande dimension et placée sur un fourneau refroidi; à côté se trouvait le tube de métal tout noirci qu'Ossipoff, au commencement de cette histoire, avait si victorieusement montré à sa fille.

      Et sans doute cette découverte avait-elle pour le secrétaire