François Villon

Œuvres complètes de François Villon


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      XII.

      Or est vray qu'après plaingtz et pleurs

      et angoisseux gemissemens,

      Après tristesses et douleurs,

      Labeurs et griefz cheminemens,

      Travail mes lubres sentemens,

      Esguisez comme une pelote,

      M'ouvrist plus que tous les Commens

      D'Averroys sur Aristote.

      XIII.

      Combien qu'au plus fort de mes maulx,

      En cheminant sans croix ne pile,

      Dieu, qui les Pellerins d'Esmaus

      Conforta, ce dit l'Evangile,

      Me montra une bonne ville

      Et pourveut du don d'espérance;

      Combien que le pecheur soit vile,

      Riens ne hayt que persévérance.

      XIV.

      Je suys pécheur, je le sçay bien;

      Pourtant Dieu ne veult pas ma mort,

      Mais convertisse et vive en bien;

      Mieulx tout autre que péché mord,

      Soye vraye voulenté ou enhort,

      Dieu voit, et sa miséricorde,

      Se conscience me remord,

      Par sa grace pardon m'accorde.

      XV.

      Et, comme le noble Romant

      De la Rose dit et confesse

      En son premier commencement,

      Qu'on doit jeune cueur, en jeunesse,

      Quant on le voit vieil en vieillesse,

      Excuser; helas! il dit voir.

      Ceulx donc qui me font telle oppresse,

      En meurté ne me vouldroient veoir.

      XVI.

      Se, pour ma mort, le bien publique

      D'aucune chose vaulsist myeulx,

      A mourir comme ung homme inique

      Je me jugeasse, ainsi m'aid Dieux!

      Grief ne faiz à jeune ne vieulx,

      Soye sur pied ou soye en bière:

      Les montz ne bougent de leurs lieux,

      Pour un paouvre, n'avant, n'arrière.

      XVII.

      Au temps que Alexandre regna,

      Ung hom, nommé Diomedès,

      Devant luy on luy amena,

      Engrillonné poulces et detz

      Comme ung larron; car il fut des

      Escumeurs que voyons courir.

      Si fut mys devant le cadès,

      Pour estre jugé à mourir.

      XVIII.

      L'empereur si l'arraisonna:

      «Pourquoy es-tu larron de mer?»

      L'autre, responce luy donna:

      «Pourquoy larron me faiz nommer?

      «Pour ce qu'on me voit escumer

      «En une petiote fuste?

      «Se comme toy me peusse armer,

      «Comme toy empereur je fusse.

      XIX.

      

      «Mais que veux-tu! De ma fortune,

      «Contre qui ne puis bonnement,

      «Qui si durement m'infortune,

      «Me vient tout ce gouvernement.

      «Excuse-moy aucunement,

      «Et sçaches qu'en grand pauvreté

      «(Ce mot dit-on communément)

      «Ne gist pas trop grand loyaulté.»

      XX.

      Quand l'empereur eut remiré

      De Diomedès tout le dict:

      «Ta fortune je te mueray,

      «Mauvaise en bonne!» ce luy dit.

      Si fist-il. Onc puis ne mesprit

      A personne, mais fut vray homme;

      Valère, pour vray, le rescript,

      Qui fut nommé le grand à Romme.

      XXI.

      Se Dieu m'eust donné rencontrer

      Ung autre piteux Alexandre,

      Qui m'eust faict en bon heur entrer,

      Et lors qui m'eust veu condescendre

      A mal, estre ars et mys en cendre

      Jugé me fusse de ma voix.

      Nécessité faict gens mesprendre,

      Et faim saillir le loup des boys.

      XXII.

      Je plaings le temps de ma jeunesse,

      Ouquel j'ay plus qu'autre gallé,

      Jusque à l'entrée de vieillesse,

      

      Qui son partement m'a celé.

      Il ne s'en est à pied allé,

      N'a cheval; las! et comment donc?

      Soudainement s'en est voilé,

      Et ne m'a laissé quelque don.

      XXIII.

      Allé s'en est, et je demeure,

      Pauvre de sens et de sçavoir,

      Triste, failly, plus noir que meure,

      Qui n'ay ne cens, rente, n'avoir;

      Des miens le moindre, je n'y voir,

      De me desadvouer s'avance,

      Oublyans naturel devoir,

      Par faulte d'ung peu de chevance.

      XXIV.

      Si ne crains avoir despendu,

      Par friander et par leschier;

      Par trop aimer n'ay riens vendu,

      Que nuls me puissent reprouchier.

      Au moins qui leur couste trop cher.

      Je le dys, et ne croys mesdire.

      De ce ne me puis revencher:

      Qui n'a méfiait ne le doit dire.

      XXV.

      Est vérité que j'ay aymé

      Et que aymeroye voulentiers;

      Mais triste cueur, ventre affamé,

      Qui n'est rassasié au tiers,

      Me oste des amoureux sentiers.

      Au fort, quelqu'un s'en recompense,

      Qui est remply sur les chantiers,