Gréville Henry

La Niania


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      La Niania garda le silence, et hocha par deux fois sa vieille tête grise.

      --C'est qu'ils veulent te marier, reprit-elle au bout d'un moment.

      --A qui? dit Antonine en levant brusquement la tête.

      --Je ne sais pas; on te cherche un promis. On va donner un bal pour toi, et l'on s'occupera de te marier le plus vite possible.

      --Quelle idée! Où as tu pris cela?

      --J'ai écouté à la porte, pendant que tu étais chez madame Frakine. Et lui, que dit-il, ton ami?

      --Il dit comme moi.

      --Que Dieu étende sa main sur vous, soupira la Niania, car je prévois que votre vie ne sera pas tranquille!...

      Antonine s'étendit sur son lit; sa bonne ramena les couvertures sur elle, attisa la lampe des images, et se retira en faisant des signes de croix dans l'air de tous côtés pour chasser l'esprit malin.

      Mais l'esprit malin était resté au coeur de la jeune fille. Une colère sourde travaillait en elle et montait toujours, menaçant de submerger sa raison. Si on l'avait laissée en paix, maîtresse d'attendre que Dournof eût conquis une position, elle aurait été une fille douce et soumise, patiente malgré son chagrin, et respectueuse toujours... Mais on voulait disposer d'elle sans son consentement... on traitait son amour comme un enfantillage, on se jouait de l'homme qu'elle aimait... Sa colère devint si forte, qu'Antonine se leva, incapable de rester immobile plus longtemps. La fraîcheur de la chambre calma un peu sa fièvre. Elle fit deux ou trois fois le tour de sa cellule virginale, et s'arrêtant devant les images, elle s'agenouilla pieusement.

      --Sainte mère de Dieu! dit-elle tout haut, en étendant la main vers l'image de la Vierge qui lui souriait placidement, son enfant dans les bras, je jure d'être à lui ou à personne.--Et s'il faut mourir pour tenir mon serment, je mourrai.

      Elle se prosterna et resta longtemps en prières. Le froid et l'immobilité la glacèrent; un frisson passa sur son corps. Elle se leva, rejetant ses tresses importunes, puis retourna à son lit et s'endormit.

       Table des matières

      Les jours suivants, madame Karzof continua à étudier attentivement sa fille, mais celle-ci s'était fait un visage impénétrable; Dournof vint voir Jean à plusieurs reprises, sans affectation; il passa la meilleure partie du temps de sa visite dans la chambre du jeune homme, et ne fit qu'apparaître et disparaître dans le salon. Antonine l'accueillait comme par le passé, lui tendait la main, lui souriait, exactement comme s'il n'avait jamais été question de mariage entre eux; les plus malintentionnés n'auraient pu rien trouver à critiquer dans cette conduite, si bien que madame Karzof, se disant que le danger était écarté de ce côté, s'adonna entièrement aux préliminaires de la fête projetée.

      Pendant qu'elle faisait une tournée de visites préparatoires elle recueillit nombre de compliments sur sa fille, et pas mal d'ouvertures de la part des dames, aussi désireuses de placer un jeune célibataire que madame Karzof pouvait l'être de placer Antonine. Entre demandeurs et offrants, les choses finissent toujours par s'arranger. Cette grande comédie que donnent incessamment aux désintéressés les faiseurs de mariages a des hauts et des bas, comme toutes les représentations de ce monde; il y a des moments où il se trouve sur le marché plus de célibataires que de jeunes filles; d'autres, et c'est le cas le plus fréquent, où les demoiselles sont offertes en grande quantité, et les célibataires peu nombreux. Le grand talent, en telle occurrence, est de garder sa... comment dire cela sans blesser personne?... il s'agit d'acheter, en tout cas, si l'on ne peut supposer qu'il s'agisse de vendre! Le talent est donc de garder sa marchandise en magasin, aussi longtemps qu'elle n'est pas demandée sur la place. On a vu de très-beaux mariages, ce qu'on appelle des mariages avantageux, se conclure en vingt quatre heures, parce qu'un ambassadeur avait besoin d'une ambassadrice pour lui aider à représenter la république au Monomotapa; on a vu aussi des célibataires immariables, et abandonnés des marieuses les plus habiles, trouver femme sans coup férir; c'est qu'ils avaient choisi le bon moment,--ce qui est en toute chose le premier point.

      Lorsque madame Karzof se mit en campagne pour marier Antonine, il s'était fait une grande razzia de demoiselles à la Noël précédente, et ceux qui n'avaient pas pris leurs précautions d'avance étaient restés célibataires comme devant. La bonne dame reçut donc des compliments extraordinaires sur le mérite, la beauté, l'intelligence, etc., etc, de sa fille, et dans les six maisons qu'elle parcourut le premier jour de sa tournée, elle trouva quatre prétendants,--non pas que tous les quatre eussent témoigné un désir particulier d'épouser Antonine, mais il y avait quatre messieurs disposés à épouser une jolie femme avec une jolie dot, ou même une jolie dot, sans faire d'une jolie femme un complément indispensable.

      Madame Karzof sourit, et rentra au logis triomphante et la tête haute.

      --Puisqu'il en est ainsi, dit elle à son mari au premier moment de tête à tête, nous les inviterons tous, et nous serons très-difficiles dans notre choix. Nous avons droit à la fleur du panier.

      Le second jour fut plus favorable encore que le premier, car il se rencontra, parmi les victimes immolées à l'orgueil maternel de madame Karzof, quelqu'un qui avait vu--positivement vu Antonine, et qui la demandait personnellement! oui! personnellement! Non pas une personne bien élevée avec un petit capital, mais mademoiselle Karzof elle-même, telle qu'elle était! Madame Karzof, gagna sur-le-champ un pouce en hauteur.

      Le lecteur se tromperait, et nous serions bien malheureux de cette erreur, s'il se figurait qu'en Russie l'on traite ces questions directement. Ce serait de la première grossièreté; tout au plus cela se passe-t-il chez les marchands dans la classe intelligente et civilisée des employés demi-supérieurs, les choses vont tout autrement. Madame Karzof abordait ainsi ses bonnes amies:

      --Bonjour, chère Anastasie Pétrowna! Mon Dieu, qu'il s'est écoulé de temps depuis que j'ai eu le plaisir de vous voir!

      --Il y a au moins six semaines! j'aurais dû aller vous rendre visite, mais...

      --Du tout! c'est moi qui vous devais une visite.

      --Vous croyez! tant mieux, cela me rassure; mais nous ne comptons pas les visites, n'est-ce pas, entre nous! Eh bien, quoi de neuf en ce monde?

      --Mais pas grand'chose; les Morof ont marié leur fils, vous savez...

      --Oui, oui, c'est de l'histoire ancienne. Et votre jolie Antonine, quand la mariez-vous?

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