Gréville Henry

La Niania


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volonté.

      Cette fermeté la sauva du caprice, défaut ordinaire de ses compatriotes, qui, sans cesse adulés, ne trouvent point de limites à leur fantaisie, n'ont plus de règle pour leur existence. Si Antonine devint fort entêtée, au moins ne le fut-elle qu'à bon escient.

      Si persuadée qu'elle fût de la tendresse aveugle de sa Niania, elle tremblait intérieurement le jour où elle lui fit l'aveu de son amour pour Dournof. La vieille servante l'écoutait, les mains pendantes, comme il convient en présence des maîtres, la tête baissée, l'air respectueux.

      --Eh bien, quoi? dit-elle, lorsque Antonine eut cessé de parler, tu aimes ce jeune homme? Pourquoi pas, si c'est un homme de bien?

      --Mais ma mère ne voudra peut être pas! fit Antonine, surprise de ne pas rencontrer d'autre résistance.

      --Si tu l'aimes, ça ne fait rien, ta mère ne voudra pas faire de peine à son enfant chéri. Seulement, ma belle petite, sois bien sage, ne laisse pas approcher ton amoureux......

      Antonine jeta un regard si sévère à Niania que celle-ci perdit toute envie de la morigéner.

      --C'est bon, c'est bon, reprit-elle. Pourvu que tu te maries à celui que ton coeur a choisi, c'est tout ce qu'il faut. Ta mère, que Dieu conserve, n'était pas si contente quand elle a épousé ton père... elle a bien pleuré!...

      --Tu te le rappelles? fit vivement Antonine.

      --Certes! elle en aimait un autre, un joli officier avec des petites moustaches, qui venait à la maison...

      --Eh bien?

      --Eh bien, que veux-tu que je te dise! elle s'est consolée... ton père est un brave homme, pour cela, il n'y a rien à dire, et ta mère a été toujours choyée comme la prunelle de ses yeux. Elle a toujours fait ce qu'elle a voulu.

      Antonine garda au fond de son coeur l'espérance que sa mère, empêchée dans sa jeunesse d'épouser l'homme qu'elle aimait, serait compatissante à sa situation; cependant elle se contenta d'espérer en silence. Niania fut chargée de mettre à la poste et de retirer la correspondance des deux fiancés, et elle s'en acquitta avec beaucoup de zèle et d'adresse. Le matin du jour où Antonine se montrait si impatiente elle avait reçu un mot de Dournof lui annonçant son retour pour le jour même. Aussi les heures lui paraissaient elles longues.

       Table des matières

      La sonnette retentit dans l'antichambre; la Niania courut ouvrir, et, par la porte restée entr'ouverte, Antonine entendit ces paroles:

      --Vous voilà revenu, Féodor Ivanitch, notre faucon, notre aigle blanc! Que Dieu vous donne une bonne santé! La demoiselle mourait d'impatience!

      --Est-elle à la maison? répondit la voix grave de Dournof.

      --Oui, oui, elle est à la maison, elle vous attend seule dans le salon.

      Dournof fit rapidement les quelques pas qui le séparaient de la porte, l'ouvrit toute grande, et resta sur le seuil. Antonine debout, immobile, tournant le dos à une fenêtre, éclairée par une lumière luisante qui mettait une raie d'or sur chaque contour, l'attendait, en effet, sans oser faire un pas vers lui. Jusque-là elle n'avait touché que sa main. Comment contenir l'impulsion irrésistible qui la jetait dans les bras de son fiancé?

      Elle n'eut pas le temps de réfléchir, elle sentit soudain deux bras l'étreindre avec tant de force qu'ils lui firent mal; sa tête se trouva sur la poitrine de Dournof, et ses cheveux furent couverts de baisers. La vieille bonne referma la porte du salon et sortit en murmurant une bénédiction sur eux.

      --Ma lumière, ma vie! disait Dournof à voix basse, en serrant contre lui la tête d'Antonine qu'il caressait d'une main presque paternelle dans sa douceur, que j'ai souffert sans toi! Il l'écarta un peu pour la mieux regarder et ne dit rien, mais son sourire témoigna combien elle lui était chère.

      --Comment avez vous passé ce long temps d'absence? dit-il ensuite en la conduisant vers un fauteuil où elle s'assit, pendant qu'il prenait une chaise en face d'elle.

      --Je n'en sais rien, répondit Antonine; c'était comme une longue nuit. J'ai beaucoup travaillé.

      --A quoi?

      --A nos travaux d'école; j'ai préparé des leçons pour les enfants du village; ce n'est pas facile d'expliquer même les choses les plus simples à ces intelligences peu développées. J'ai eu bien de la peine à rendre claires quelques notions... Mais nous en reparlerons. Et vous, qu'avez-vous fait?

      Dournof passa la main sur son front pour en chasser les soucis.

      --J'ai eu des paperasses, donné des signatures, lutté contre la mauvaise foi des uns et l'obséquiosité des autres... j'ai arraché à grand'peine à toutes ces mains rapaces les bribes de mon patrimoine, j'ai installé ma mère et mes soeurs dans une demeure passable, et me voici... mais, Antonine, écoutez-moi bien: je ne veux plus vous quitter:

      Elle le regarda, et ses yeux dirent clairement qu'elle non plus ne voulait plus le quitter.

      --Je vais demander votre main à vos parents, je ne suis pas riche, bien loin de là, mais j'ai réalisé de quoi vivre très-pauvrement pendant cinq ans: d'ici là, j'aurai acquis une position digne de vous, j'en suis sûr Il s'était levé; sa forte poitrine dilatée par la joie et l'espoir respirait aisément, ses yeux brillaient, son teint coloré par la vie exubérante, ses cheveux bouclés capricieusement par la nature, et qu'il rejetait à tout moment en arrière de son front large et pur, disaient hautement que cet homme possédait une âme vigoureuse, énergique, indomptable.

      --Craignez-vous la misère? dit-il à Antonine.

      Elle répondit d'un signe de tête avec un sourire plein d'orgueil et de confiance.

      --Et vos parents opposeront-ils une résistance sérieuse?

      --Probablement, répondit-elle.

      --Alors?...

      --Rien ne nous désunira, dit Antonine à voix basse, en inclinant la tête.

      --On voudra nous faire attendre.....

      --Nous attendrons.

      Dournof se rassit et poussa un soupir.

      Antonine parlait d'attendre; en effet, pour elle, attendre n'était pas si dur; elle vivait dans la maison paternelle, où régnait l'aisance; elle travaillait suivant ses goûts, entourée d'objets de son choix... la vie lui était facile... Mais pour lui. Dournof, c'était une autre existence. Il regarda à terre, et dans son cerveau fatigué du voyage et de bien de tristes pensées, il vit apparaître l'image de sa vie solitaire.

      C'était une chambre triste, où rien ne parlait de la présence d'une femme aimée; les meubles,--des meubles de garni, c'est tout dire,--n'avaient rien d'agréable au regard ni au toucher. Pas de souvenirs sur ces murailles tapissées d'un papier banal, à peine peut être la photographie d'Antonine. Le repas solitaire, le lever solitaire, la solitude partout, et dans le travail surtout... le travail qui aurait été si doux auprès d'elle! Combien la présence d'Antonine n'eut-elle pas embelli ce triste intérieur! D'ailleurs, toute pensée d'intérêt mise de côté, la petite fortune de la jeune fille aurait apporté le bien-être dans leur union. Ce n'était plus la chambre louée au mois qu'ils eussent habitée ensemble, mais un petit intérieur modeste où la main de l'épouse met partout son empreinte délicate et sacrée.

      Antonine ne se doutait guère de cette différence de vie; elle n'en connaissait que la poésie. La pauvreté des paysans de son village lui était cependant familière, et elle en adoucissait les chagrins par tous les moyens en son pouvoir. Mais la pauvreté d'un homme de son monde devait être, et était, en effet, une chose bien différente; celle-ci lui paraissait tout ensoleillée par l'étude, les joies de l'intelligence, et par leur