Anonyme

Les Alcooliques anonymes, Quatrième édition


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tenté de faire. Toute vitale et cruciale que fut la décision de nous abandonner, elle ne pouvait avoir d’effet permanent sans être tout de suite suivie d’un gros effort pour faire face aux obstacles qui intérieurement nous avaient nui, et pour les éliminer. Notre problème d’alcool n’était qu’un symptôme. Nous devions donc nous attaquer aux causes.

      Nous avons donc commencé par un inventaire personnel. C’était la Quatrième Étape. Une entreprise dont on ne fait pas l’inventaire régulièrement est vouée à la faillite. Dresser un inventaire commercial consiste à recueillir des faits et à les examiner. On essaie de bien connaître les marchandises en stock. Un des buts de l’opération est de déterminer quelles sont les marchandises endommagées ou impropres à la vente, puis de s’en débarrasser rapidement et sans regret. Si un chef d’entreprise veut réussir, il ne doit pas se leurrer sur la valeur de son actif.

      C’est précisément ce que nous avons fait avec nos vies. Nous avons réuni les faits honnêtement. D’abord, nous avons cherché les faiblesses de notre personnalité qui avaient causé notre faillite. Convaincus que notre moi, sous toutes ses formes, avait entraîné notre perte, nous avons étudié les façons dont il se manifestait le plus souvent.

      Le ressentiment est l’ennemi « n°1 ». Ce sentiment détruit plus d’alcooliques que toute autre chose. Il donne lieu à toutes les formes de maladies spirituelles car nous étions atteints non seulement mentalement et physiquement, mais spirituellement aussi. D’ailleurs, quand la maladie spirituelle n’y est plus, nous nous relevons physiquement et mentalement. Pour examiner nos ressentiments, nous avons inscrit ceux-ci sur une feuille. Nous avons dressé la liste des personnes, des institutions ou des principes qui suscitaient notre colère. Nous nous sommes demandé pourquoi nous étions fâchés. Nous avons trouvé que, la plupart du temps, nous nous sentions blessés ou menacés dans notre amour-propre, notre porte-monnaie, nos ambitions et nos relations personnelles (y compris sur le plan sexuel). Cela nous faisait souffrir et même enrager.

      Sur la liste de nos ressentiments, nous avons aussi inscrit, vis-à-vis de chaque nom, la nature de notre blessure en nous demandant quel aspect de notre vie avait été atteint : notre amour-propre, notre sécurité, nos ambitions, nos relations personnelles, nos relations sexuelles ?

      En général, notre description était aussi précise que la suivante :

Objet de mon ressentiment Cause Blessure
M. Tremblay L’attention qu’il porte à ma femme A dit à ma femme que j’avais une maîtresse. Pourrait prendre mon poste au bureau. Relations sexuelles, amour-propre (peur). Relations sexuelles, amour-propre (peur). Sécurité, amour-propre (peur).
Mme Leblanc Elle est sotte. Elle m’a Regardé de haut. A fait interner son mari alcoolique. Son mari et moi sommes amis. Relations personnelles, amour-propre (peur).
Mon employeur Manque de jugement. Injuste. Exigeant. Menace de me congédier parce que je bois et que je gonfle mes notes de frais. Amour-propre (peur), sécurité.
Ma femme Ne me comprends pas et trouve toujours à redire. Elle aime Tremblay. Elle veut la maison. Orgueil – Vie sexuelle –Sécurité (peur).

      Nous avons passé notre vie en revue. Rien n’avait plus d’importance que d’être précis et honnête. Puis, nous avons soigneusement analysé ce qui en ressortait. Nous avons d’abord remarqué que notre entourage et le monde entier avaient souvent tort. Nous n’étions jusque-là jamais allés plus loin que de conclure que les autres étaient fautifs. Il en résultait naturellement qu’ils continuaient de nous causer du tort et de nous irriter. Parfois, il nous arrivait d’avoir des remords, ce qui revient à dire que nous nous irritions contre nous-mêmes. Mais plus nous nous efforcions d’imposer nos volontés, plus les choses s’aggravaient. Comme à la guerre, le vainqueur ne l’était qu’en apparence. Nos moments de triomphe étaient brefs.

      Une chose est claire : celui qui vit dans le ressentiment profond finit par mener une existence futile et malheureuse. Dans la mesure exacte où nous nous laissons aller à ce sentiment, nous gaspillons un temps précieux qui autrement, pourrait être employé avec profit. Mais pour l’alcoolique, dont le salut dépend du maintien et de l’évolution de son expérience spirituelle, le ressentiment est extrêmement grave. Il nous est même fatal car en cultivant notre rancune, nous nous coupons de la lumière de l’Esprit. La démence de l’alcool revient et nous recommençons à boire. Et pour nous, boire c’est mourir.

      Si nous voulions vivre, nous devions nous libérer de la colère. Les crises et l’irritabilité ne sont pas pour nous. Les gens normaux peuvent peut-être s’offrir ce luxe douteux mais pour les alcooliques, c’est un poison.

      Nous sommes retournés à notre liste, car la clé de notre vie future s’y trouvait. Nous étions disposés à l’examiner dans un esprit totalement différent. Nous avons constaté que nous nous étions vraiment laissés dominer par le monde et par nos semblables. C’est pourquoi les travers des autres, qu’ils fussent réels ou imaginaires, pouvaient effectivement nous tuer. Comment échapper au danger ? Il était clair que nous devions dominer nos ressentiments. Mais comment y parvenir ? Pas plus que pour l’alcool, nous ne pouvions nous contenter d’espérer qu’ils disparaîtraient.

      Voici ce que nous avons fait. Nous nous sommes rendu compte que ceux qui nous avaient causé du tort pouvaient être malades spirituellement. Même si leurs symptômes et les ennuis qu’ils nous causaient nous irritaient, ils étaient tout comme nous, des malades. Nous avons demandé à Dieu de nous aider à leur démontrer la même tolérance, la même pitié et la même patience que nous aurions été heureux de témoigner à un ami malade. Lorsqu’une personne nous blessait, nous nous disions : « Elle est malade. Que puis-je faire pour l’aider ? Mon Dieu, gardez-moi de la colère. Que Votre volonté soit faite. »

      Nous évitions la vengeance et les disputes, comme nous l’aurions fait avec une personne malade. Si nous n’avions pas agi ainsi, nous aurions perdu nos chances de nous rendre utiles. Nous ne pouvons pas venir en aide à tout le monde, mais au moins, grâce à Dieu, nous apprenons à être bons et tolérants envers tout un chacun.

      Nous sommes revenus à notre liste. En ne tenant pas compte des torts des autres envers nous, nous avons résolu d’examiner nos propres fautes. Dans quels cas avions-nous été égoïstes, malhonnêtes, calculateurs et effrayés ? En face d’une situation donnée dont nous n’étions pas entièrement responsables, nous tentions de faire totalement abstraction de l’autre personne en cause. Étions-nous à blâmer ? Nous faisions notre inventaire à nous, pas celui de l’autre. Quand nous constations nos fautes, nous les prenions en note. Elles étaient là, écrites noir sur blanc. Après avoir honnêtement reconnu nos torts, nous avons consenti à les redresser.

      Remarquez que le mot « peur » est entre parenthèses dans les quatre cas : M. Tremblay, Mme Leblanc, l’employeur et la conjointe. Ce petit mot affecte d’une certaine façon presque tous les aspects de notre vie. La peur était comme un fil mauvais et pourri, la trame sur laquelle nos existences étaient tissées. Elle a engendré des situations qui nous ont causé des malheurs que nous ne croyions pas avoir mérités. Mais n’avions-nous pas été à l’origine de tout cela ? Il nous arrive parfois de penser que la peur est aussi grave que le vol ; elle semble même entraîner plus d’ennuis.

      Nous avons soigneusement passé en revue toutes nos craintes en les écrivant, même si aucun ressentiment n’y était rattaché. Nous nous sommes interrogés sur la cause de nos peurs. N’était-ce pas parce que notre autosuffisance nous avait lâchés ? L’autosuffisance nous avait servis jusqu’à un certain point, mais pas encore assez. Certains parmi nous avaient déjà eu une grande confiance en eux-mêmes