chaque rente étant assise sur une ou plusieurs propriété qui sert de gage à son paiement, on pouvait se demander si la valeur de ce gage n’influence pas le prix de la rente, mais rien ne permet d’argumenter en ce sens ou d’interpréter ces contrats comme de pures hypothèques.
Au terme de l’analyse, on est conduit à faire l’hypothèse que le prix payé pour acheter la rente traduit une sorte de valeur locale pluriannuelle du grain, antérieure à la confrontation de l’offre et de la demande. Il doit être distingué aussi bien du prix de référence annuel fixé à l’automne, qui est ensuite inscrit dans les apprécies des rentes, que du prix journalier constatable sur le marché, qui tient compte de la qualité de la marchandise et du rapport de l’offre et de la demande. C’est l’existence socialement reconnue d’une telle valeur qui fonde le statut du grain comme une monnaie alternative dans l’espace d’un marché local. En tout état de cause, l’existence d’un tel marché suppose aussi un niveau d’abondance et de régularité dans l’approvisionnement qui permette aux acteurs de s’assurer dans leur choix d’investissement. La constitution de ce marché résulte enfin d’une évolution de la stratification sociale. Un certain nombre des acteurs mentionnés dans les chartes ne sont pas eux-mêmes des cultivateurs (plusieurs sont des clercs) et le froment qu’ils s’engagent à verser annuellement provient d’autres rentes et redevances dont ils sont les bénéficiaires et non de leur propre travail. Par ailleurs, les sommes versées par les moines aux vendeurs de rentes ne sont pas négligeables et leur réinvestissement peut aider à l’augmentation du capital immobilier, en terres, bien sûr, mais aussi en maisons, moulins, pressoirs et autres installations de production.15 À partir de la fin du XIIIe siècle, l’instabilité monétaire croissante dut accroître la sûreté de cet instrument monétaire, dont la valeur libératoire ne dépendait pas de la politique du souverain. Ainsi s’explique sans doute la faveur dont ces rentes continuèrent à jouir jusqu’à la fin du XVe siècle au moins.
Les remarques qui précèdent exposent les résultats d’une enquête en cours, portant sur un espace régional important, mais limité et segmenté. Sa continuation et l’examen d’autres dossiers permettront de tester la validité des hypothèses présentées. Les marchés locaux faiblement interconnectés qui servaient de fondement à un système de crédit où les grains servaient comme monnaie alternative aux espèces métalliques ne sont pas pensable dans le système de subsistances fortement politisé que connaît la fin de l’Ancien Régime. Il est clair que de ce point de vue le système dont la description est esquissée ici diffère profondément des situations étudiées par Jean Meuvret dans son grand livre sur le commerce du blé à l’époque moderne.16 La géographie et la chronologie des situations décrites plus haut devra encore être établie, pour déterminer la date de sa mise en place et l’originalité éventuelle des campagnes normandes dans le contexte du royaume de France ou du Nord-Ouest Européen. Il nous restera enfin à comprendre comment a pu s’accomplir la transition d’une situation à l’autre.
ANNEXE 1
Thaon, novembre, 1246.
Vente par Nicholas Fauvel aux moines de Savigny d’une rente d’un sextier de froment à la mesure de Thaon, à prendre à la Saint-Michel de lui ou de ses héritiers sur sa masure de Thaon pour 4 lb. 15 s. t.
Paris, Arch. nat. L 976/679.
Nouerint presentes et futuri quod ego, Nicholaus Fauvel de Thaon dedi et concessi abbati et monachis de Savigneio pro quatuor libris et quindecim solidis turonensium quos mihi mi dederunt videlicet unum sextarium frumenti ad mensuram de Thaon percipiendum annuatim in masura mea de Thaon sita iuxta masuram Thome de Reviers ex una parte et iuxta masuram Willelmi de Lachon ex altera per manum meam uel heredum meorum uel cuiusque qui predictam masuram tenuerit, ad festum sancti Michaelis in mense septembri, tali condictione quod dicti abbas et monachi propter defectum solutionis prescripti sextarii frumenti in prenotata masura poterunt ac debebunt plenariam justiciam exhibere. Et ut hec mea donatio perpetue firmitatis robur obtineat presens scriptum sigilli testimomnio confirmaui, actum anno gratie m° cc° xl° sexto in mense nouembri.
ANNEXE 2
Thaon, octobre 1272.
Thomas Mordant vend aux moines de Savigny une rente d’un sextier de blé en septembre, assise sur son masnage et sur toutes les terres qu’il tient ou tiendra des religieux à Thaon et Camilly, pour un prix de 5 lb. 10 s. t. ; l’acte est passé en présence des vavasseurs de Thaon.
Paris, Arch. nat. L 968/919.
Sciant omnes presentes et futuri quo ego, Thomas Mordant, vendidi et concessi viris religiosis abbati et conventui de Savigneio per centum et decem solidis de quibus me teneo pro pagato, videlicet unum sextarium frumenti annui redditus percipiendum et habendum et jure legitime emptionis posidendum sibi et successoribus suis de me et heredibus suis in mense septembri ad mensuram de Thaon super masnagium meum situm apud Camilleum juxta masnagia heredum Rogeri Adeline et super omnes terras quas de eisdem religiosis teneo in territoriis de Camilleo et Thaone, sine ulla contradictione mei vel heredum meorum facienda. Et hanc venditionem et concessionem ego [et] heredes meorum tenemur predictis religiosis garantizare et defindere [sic] contra omnes. Et ut hoc sit firmum et stabile presentem cartam sigillo meo sigillavi. Datum anno domini m° cc° septuagesimo secundo mense octobri coram vavasoribus suis de Thaone et de Camilleo in curia eorumdem apud Thaon.
ANNEXE 3
Thaon, octobre 1266.
Thomas et Nicolas Lelégart, bourgeois de Caen, vendent aux moines de Savigny in rente de 4 sextiers d’orge pour 13 lb. 10 s. t. assises sur une série de terres décrites.
Paris, Arch. nat. L 976/876.
Sciant omnes et futuri quod nos, Thomas dictus Legat et Nicholaus dictus Legat, fratres et burgenses de Cadomo, vendidimus et concessimus et omnino dimisimus viris religiosis abbati et conventui Savigneio pro trindecim (sic) libris et dimidia turonensium de quibus nobis plenarie satisfecerunt, uidelicet quatuor sextaria ordei annui et perpetui redditus ad mensuram de Thaone, recipienda mense septembris quem predictum redditum Ricardus Gaufridi de Thaone nobis debebat in quinque acris et una virgata terre sitis in territorio de Thaone in tribus virgatis terre apud foveam Mapul, juxta teeram Henrici Boistart et apud turres Vigaren in dimidia acra iuxta terram Willelmi Alexandri et in quadam acra et dimidia virgata inter duas londas iuxta terra Petri Vernei et in dimidia acra apud Iubleiz iuxta terram Petri Vernei et in tribus virgatis apud parvam londam iuxta terram Abbatis Savignei et in dimidiam acram apud vallem iuxta terram abbatis Savignei et in medietatem quinque virgatarum terre iuxta terram Hosmondi Amelin apud Pirum et in una virgata in eadem dela iuxta terram Roberti de Rochela, militis et in una virgata in eadem dela iuxta terram Philippi Gaufridi ; in quibus predictis terris predictus abbas et conventus habebant prius quatuor sextaria frumenti et sextaria ordei duo et tres capones et tres panes tertion. annualis redditus per manum eius Ricardi, tenendum et habendum et jure legitime emptionis in perpetuum possidendum dictum redditum dictis abbati et conventui bene et in pace libere et quiete sine ulla reclamatione a modo nostrum vel heredum nostrorum, et nos predicti Thomas et Nicholaus et heredes nostri dictis abbati et conventui dictum redditum contra omnes homines garantzare et defendere tenemur vel in proprio feodo nostro si neccesse fuerit equivalenter excambiare. In cuius rei testimonio presenti carte sigilla nostra apposuimus, actum anno Domini m° cc° sexagesimo quinto mense januarii coram parrochia.
ANNEXE 4
Thaon, juin 1273.
Thomas Lelégart, de Caen, vend pour une durée de quatre ans à Roger de Hamars, bourgeois de Cean, une rente de 2 sextiers d’orge au prix de 13 sous manceaux (19 s. 6 d. t.).
Paris, Arch. nat. L 976/875.
Sciant omnes presentes et futuri quo ego, Thoumas Legat, de Cadomo, tradidi et concessi Rogero de Hamarz, burgensi