Assollant Alfred

Histoire fantastique du célèbre Pierrot


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dit Vantripan en se levant, nous avons assez travaillé aujourd'hui. Si nous faisions une petite collation?

      Tout le monde le suivit, même Pierrot, qui fit collation, et soupa avec messieurs les capitaines des gardes.

      Dès le lendemain il entra en fonction, fit l'exercice du cheval et du sabre, et montra des dispositions admirables.

      En peu de jours il l'emporta sur tous ses camarades, ce qui lui ôta le peu d'amis qu'aurait pu lui laisser sa rapide fortune. Si facile à réparer que fût cette perte, Pierrot s'y montra sensible: il n'était pas encore accoutumé au bel air de la cour et aux usages du monde.

      Un mois après l'arrivée de Pierrot, le bruit se répandit que le géant Pantafilando, empereur des îles Inconnues, sur la réputation de beauté de la princesse Bandoline, la faisait demander en mariage. Tout le monde sait que les îles Inconnues, semblables à l'île de Barataria du fameux Sancho Pança, sont situées en terre ferme à cinq cents lieues au nord des monts Altaï, et confinent au Kamtchatka. On sait aussi que ces îles sont appelées Inconnues à cause du grand éloignement où elles sont de la mer et des poissons, qui jamais n'en entendirent parler. L'occasion se présentera peut-être plus tard de donner sur cette géographie nouvelle quelques détails que j'emprunterai aux livres magiques du magicien Alcofribas. La description du magicien commence ainsi:

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      Ce qui veut dire, dans la langue qu'emploient le diable et ses adeptes pour communiquer ensemble:

      Hrhadhaghâ, mhushkhokhinhgûm,

       Bhahrhatâ, Abbrakhadhabrâ.

      Et en français:

      Écoutez tous, petits et grands,

       Celui qui mange les petits enfants.

      Revenons à la demande en mariage du géant Pantafilando. Ce grand prince n'avait pas cru qu'elle pût être rejetée; aussi vint-il la faire lui-même à la tête de cent mille cavaliers qui entrèrent le sabre au poing dans la capitale de la Chine, et l'accompagnèrent à cheval jusqu'au grand escalier du palais du roi.

      Par hasard, Pierrot était de garde ce jour-là avec sa compagnie. Il fut un peu étonné de cet appareil, et descendit l'escalier pour tenir la bride du cheval, pendant que le géant mettait pied à terre avec toute sa suite. Pantafilando, remettant son cheval à un palefrenier nègre, monta les degrés côte à côte avec Pierrot.

      Au dernier, Pierrot se retourna et vit que les cent mille Tartares suivaient leur prince dans le palais. Il s'arrêta et dit au géant:

      —Sire, S.M. le roi de la Chine sera sans doute très-heureux de vous donner l'hospitalité dans son palais, mais il est bien difficile de loger tous ces braves cavaliers.

      —Eh bien, dit gaiement Pantafilando, ceux qui ne pourront pas entrer resteront dehors. D'ailleurs, mes soldats ne sont pas difficiles. N'est-ce pas, amis, que vous n'êtes pas difficiles?

      —Non, non, crièrent à la fois d'une voix de tonnerre les cent mille Tartares; nous ne sommes pas difficiles. Nous coucherons un peu partout.

      —Avez-vous la gale? cria Pantafilando.

      —Non.

      —Avez-vous la teigne?

      —Non.

      —Avez-vous la peste?

      —Non.

      —Entrez donc!

      Pierrot regarda autour de lui. La compagnie dont il avait le commandement était de cent hommes seulement, qui tremblaient de peur à la vue du seul Pantafilando. Engager le combat et faire respecter la consigne eût été folie. C'était mettre à feu et à sang la capitale de l'empire. Manquer à sa consigne, c'était se faire couper le cou, et Pierrot savait bien que le grand Vantripan n'y manquerait pas, ne fût-ce que pour se venger de la frayeur que lui inspirait l'empereur des îles Inconnues.

      —De quoi s'avise ce grand escogriffe, disait-il, de faire un pareil esclandre? S'il veut se marier, n'y a-t-il pas des filles dans son pays? Après tout, qu'est-ce qu'une femme? C'est un être plus petit que nous, plus bavard, plus médisant, plus paresseux, plus joli si l'on veut, qui porte plusieurs jupons et qui n'a pas de barbe. N'est-ce pas là de quoi massacrer des centaines de mille hommes et brûler tout un pays?

      A ce moment de ses réflexions, il sentit une douleur assez vive, comme si on lui tirait les oreilles. C'était la fée Aurore. Elle avait entendu ce beau monologue.

      —Pierrot, dit-elle, j'ai bien envie de te planter là, car tu n'es pas bon à grand'chose. Dis-moi, connais-tu ce beau vers de M. Legouvé?

      ...Parle mieux d'un sexe à qui tu dois ta mère.

      —Hélas! dit le pauvre capitaine, M. Legouvé s'est-il jamais trouvé en face du féroce Pantafilando et de ses cent mille Tartares?

      —Laisse-moi faire et ne t'inquiète pas des Tartares.

      En même temps elle parut en costume de dame d'honneur aux yeux du géant, qui ne l'avait pas encore vue. Vous imaginez assez ce que devait être la fée Aurore en dame d'honneur. Les plus belles filles d'Ève n'étaient auprès d'elle que des cailloux bruts, comparés aux purs diamants de Golconde. C'était une grâce, une lumière, une divinité. Tout en elle paraissait rose, transparent, diaphane, fait d'une goutte de lait dorée par un rayon de soleil. Elle regarda les cent mille Tartares, et tous, d'un commun accord, se prosternèrent contre terre. Pantafilando lui-même en fut ébranlé jusqu'au fond du coeur; il se sentit subitement radouci, ramolli, et saisi d'un transport de joie dont la cause lui était inconnue. Quant à Pierrot, il était ravi et transporté en esprit au-dessus des planètes. Il ne craignait plus ni le géant ni personne. Il ne craignait que de ne pas exécuter assez vite les ordres de sa marraine.

      —Seigneur, dit-elle à Pantafilando, la princesse Bandoline, ma maîtresse, qui a depuis longtemps entendu parler de vos exploits, est ravie de vous voir. Mais elle vous prie d'entrer seul dans ce palais avec deux ou trois officiers. C'est en habit de fête et non en habit de guerre qu'il faut venir voir sa fiancée.

      —Mon enfant, dit le gros Pantafilando, si ta maîtresse a seulement la moitié de ta beauté, mon coeur et ma main sont à elle; mais, sans aller plus loin, si tu veux m'épouser, je te fais dès à présent impératrice des îles Inconnues, et pour peu que tu le désires, j'y joindrai le royaume de la Chine, que mes Tartares et moi nous dévorerons en un instant. N'est-ce pas, amis? dit-il en se tournant vers son escorte.

      —Oui, oui, s'écrièrent à la fois les cent mille Tartares en remuant les mâchoires comme des castagnettes; nous mangerons la Chine et tous ses habitants.

      Cette armée était si admirablement disciplinée, que chaque soldat buvait, mangeait, dormait, marchait et parlait à la même heure, à la même minute que tous ses camarades. C'était un modèle d'armée. Chaque matin on lui disait ce qu'elle devait penser dans la journée, et, en vérité, il n'y avait pas d'exemple de soldat qui eût pensé à droite ni à gauche contre les ordres de son chef.

      —Seigneur, répliqua la fée en souriant, tant d'honneur ne m'appartient pas; mais souffrez que j'annonce votre arrivée à ma maîtresse. Et elle disparut.

      —Corbleu! dit le géant en passant sa langue sur ses lèvres, comme un chat qui lèche ses babines après dîner, comment t'appelle-t-on, capitaine?

      —Pierrot, seigneur.

      —Corbleu! capitaine Pierrot, par le grand Mandricard mon aïeul, premier empereur des îles Inconnues, voilà une jolie fille, et je veux lui faire plaisir. Holà! trois généraux! qu'on me suive, et que tous les autres remontent à cheval et attendent mes ordres, la lance en arrêt. Toi, Pierrot, montre-moi le chemin.

      Pierrot ne se fit pas prier. Il entra dans la salle à manger, qui était aussi la salle d'audience du grand Vantripan. La porte n'ayant que 60 pieds de haut, Pantafilando,