George Sand

Cadio


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républicain fera bien de ne pas laisser pierre sur pierre. (Il sort.)

      LE COMTE. Insolent!... non, honnête homme! O mon Dieu! qu'ai-je fait? et où m'entraîne le point d'honneur? (On entend des cris et le tocsin.) Que se passe-t-il? le tocsin, sans mon ordre? (Un coup de fusil très près. Louise entre, venant de l'intérieur. Elle est en costume d'amazone.) Louise, qu'est-ce que cela?

      LOUISE. Je ne sais pas. (Elle va à la fenêtre.)

      LE COMTE, (l'en retirant convulsivement). Ne reste pas là, va-t'en! (Il va pour sortir.--Le Moreau, sanglant, blessé à la figure, paraît au fond de la seconde salle; il élève son chapeau en l'air et crie: «Vive la nation!» et «Vive la République!» Un second coup de fusil, partant de l'escalier, l'atteint en pleine poitrine. Il tombe mort sur le seuil. On entend crier sur l'escalier: «A bas le municipal!»)

      LE COMTE. Ah! les misérables! (Il s'élance, l'épée à la main, sur ses paysans qui paraissent au fond, armés de fusils et de faux. Mézières se précipite à sa rencontre et le force à reculer en le couvrant de son corps.)

      MÉZIÈRES. Arrêtez! ils sont furieux, ils ne se connaissent plus! (Louise aussi s'est élancée au-devant des paysans, qui s'arrêtent devant elle.)

      LOUISE, (aux paysans, montrant le cadavre de Le Moreau.) Malheureux que vous êtes! Cent contre un! c'est odieux! c'est lâche!

      LE COMTE, (exaspéré.) Assassins! vous êtes des assassins! (Les paysans s'arrêtent consternés, quelques-uns emportent Le Moreau.) Ah! ma fille, voilà ce que c'est que la guerre civile! et tu la désirais! (Il tombe sur un siége, suffoqué.)

      LOUISE. Mon père, il faut s'y jeter pour contenir ceux qui déshonorent la cause! C'est le devoir, vous le voyez bien!

      LE COMTE, (se relevant avec énergie.) Oui, contenir et châtier! (Aux paysans.) Qui a fait cela? qui a assassiné chez moi?

      PLUSIEURS PAYSANS. C'est pas moi!--Ni moi!--Ni moi!

      LE COMTE, (à Tirefeuille qui paraît, le fusil à la main.) Est-ce toi, coquin?

      TIREFEUILLE, (farouche.) Oui, c'est moi! Après?

      LE COMTE. Et qui encore?

      TIREFEUILLE, (montrant un camarade.) Y a lui, La Mouche; on a tiré chacun son fusil. On n'est pas dans les maladroits.

      LE COMTE, (le prenant au collet avec vigueur.) A moi, vous autres! Honnêtes gens, qui n'avez pu empêcher cette infamie, prenez-moi ces deux brutes et jetez-les au cachot. Je les abandonne à la vengeance de nos ennemis! (Les paysans font un mouvement pour obéir et s'arrêtent. Mézières tient Tirefeuille en respect.)

      UN PAYSAN. Oui... mais... dites donc, monsieur le comte, faut pourtant savoir si vous êtes pour ou contre nous!

      LE COMTE. Je suis votre capitaine et je vous mène à la guerre pour le roi et la religion.

      TOUS. Vive notre capitaine, et en route!

      TIREFEUILLE et LA MOUCHE. Oui, oui, en route, et tout de suite!

      LE COMTE, (les montrant aux autres paysans.) Ces deux hommes au cachot d'abord, ou, devant vous, je me brûle la cervelle!

      LES PAYSANS. Oh!... pourquoi ça?

      UN PAYSAN. Oui, pourquoi, monsieur le comte?

      LE COMTE, (exalté.) Parce que, si je ne suis pas obéi, je vais faire avec vous une guerre de démons, et non une guerre de chrétiens! J'aime mieux mourir que de vous conduire à la damnation éternelle!

      LE PAYSAN. Il a raison... oui, oui... c'est vrai, ça!

      TOUS. Oui, oui, vive Sauvières!

      LE PAYSAN. Vive la religion! au cachot les assassins!

      TOUS, (s'emparant de Tirefeuille et de La Mouche.) Au cachot! Vive Sauvières et la religion! (Ils sortent.)

      MÉZIÈRES. Tout est prêt, monsieur le comte; il faut monter à cheval. Je vais vous habiller.

      LE COMTE, (à Louise, qui s'est jetée dans ses bras.) Ah! Louise, quel commencement et quel présage! Le seuil de ma maison est souillé du sang innocent; j'ai mérité de le franchir pour la dernière fois! (Il sort par l'intérieur, Mézières le suit.)

      SCÈNE X.--LOUISE, MARIE, entrant.

      LOUISE, (se jetant dans ses bras.) Ah! où étais-tu? Chère Marie, je suis brisée!

      MARIE. Je sais tout, je me suis hâtée de faire vos préparatifs et les miens.

      LOUISE. Les tiens? Tu retournes dans ta famille?

      MARIE. Quand vous avez besoin de moi? A quoi songez-vous, Louise?

      LOUISE. Vraiment? Ah! brave fille!... Mais c'est impossible, tu n'es royaliste ni par situation ni par croyance. Tu ne peux pas renier tes parents, ton milieu, ton opinion pour venir partager nos périls, nos revers peut-être!

      MARIE. Ma famille, qui se réduit à une vieille tante et à un frère infirme, a vécu du travail que votre amitié m'a procuré chez vous. Une petite pension vient de leur être accordée à la considération d'un cousin que nous avons sous les drapeaux et qui sert bien la République. Moi, je suis libre, je n'ai besoin de rien, et je vous servirai mieux qu'une femme de chambre, si dévouée qu'elle soit.

      LOUISE. Toi, me servir?...

      MARIE. Oui, moi, car ce ne sont plus seulement des soins matériels qu'il vous faut; c'est une amitié à l'épreuve de tout, c'est du courage pour soutenir le vôtre, c'est en un mot ce que l'on ne peut ni exiger ni obtenir pour de l'argent, mais ce qu'on doit accepter d'un coeur reconnaissant, sous peine de l'offenser en doutant de lui!

      LOUISE. Ah! chère amie, viens, alors! oui, avec toi je serai capable de tout supporter! Ah! que j'ai besoin de toi! Mon âme est déjà éperdue, je tremble d'avoir mal conseillé mon père;... mais il est trop tard, il faut partir ou l'abandonner à la vengeance des républicains. (A la Korigane, qui entre.) Eh bien, ma tante? est-elle prête?

      LA KORIGANE. Elle est déjà en voiture avec le vieux monsieur, et votre cheval est en bas, qui s'impatiente.

      LOUISE, (regardant à la fenêtre.) Mais ce n'est pas là mon cheval.

      LA KORIGANE. Celui qui le tient vous en a trouvé un meilleur.

      LOUISE. Celui qui le tient? qui donc?

      LA KORIGANE. C'est Saint-Gueltas, pardi! ne faites donc pas semblant...

      MARIE, (à Louise, bas.) Ne répondez pas à cette folle. Je monterai votre cheval. Acceptez celui qu'on vous offre, puisqu'il est meilleur.

      LOUISE, (à la Korigane.) Dites à mon père que je l'attends en bas. (Elle sort avec Marie.)

      LA KORIGANE. Oui, oui, marche! Où le cheval ira, il faudra que tu ailles, et où Saint-Gueltas te conduit, il faudra bien que ton père te suive! Il a gagné son pari, Saint-Gueltas! La fille lui plaît. Et moi... il ne m'a pas seulement regardée!... Qu'est-ce que je vais devenir à présent? Voyons, si je peux retrouver Cadio! (Elle sort.)

       Table des matières

      Fin de l'été, 1793.--La salle à manger du château de Sauvières. La grande porte du fond est ouverte sur le parc, dont la grille porte cette inscription: PROPRIÉTÉ NATIONALE.

      SCÈNE PREMIÈRE.--REBEC est attablé avec MOUCHON et CHAILLAC; MADELON et JAVOTTE, servantes de Rebec les servent. Flambeaux allumés, il fait nuit dehors. La table est richement servie.

      MOUCHON. Brrr!... La nuit est noire... et pas chaude, savez-vous?

      REBEC, (avec dignité.) Javotte, allumez la cheminée! Madelon, fermez les portes.

      CHAILLAC,