Vincent Balnat

L'appellativisation du prénom


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pas accès […]. Pour la plupart des Npr « ordinaires », tels que Paul, Pierre, Jean-Jacques, Mireille, Dubo[i]s, Martin, Lejeune, etc., qui ne sont associés ni à des personnages politiques importants, ni à des écrivains ou des artistes célèbres, ni à des personnages mythologiques ou littéraires exemplifiant un type d’humain, on ne trouve pas de dérivations […]

      Cette affirmation doit être nuancée : si la dérivation de prénoms est effectivement possible dans le cas de personnages connus (Napoléondas napoleonische Frankreich ; SUGAREWA 1974 : 202), elle ne l’est pas moins pour d’autres types de prénoms. LEROY (2008) montre par l’analyse de dérivés verbaux et nominaux non lexicalisés comme dans Tu te totoïfies (‘Tu ressembles de plus en plus à Toto’) et C’est une suzannerie (‘C’est une remarque/action typique de Suzanne’)7 que les prénoms fonctionnant comme base de dérivation ne sont pas nécessairement ceux de personnalités :

      le caractère incarné ou désincarné d’un nom propre ne correspond pas à un statut intrinsèque mais à un point de vue : dès lors qu’un nom propre désincarné est incarné pour les locuteurs, il est susceptible d’être le lieu d’une dérivation identique à celle d’un nom commun. (2008 : 50)

      Par ailleurs, certains prénoms devenus noms communs fonctionnent comme base de dérivation comme dans le cas du nom janotisme (1. ‘esprit borné, bêtise’, 2. ‘défaut de style consistant à rompre la logique syntaxique’), issu de jeannot/janot (‘sot’), ou des verbes kaspern (‘faire l’imbécile’) et uzen (‘taquiner’), formés à partir de Kasper (‘imbécile’, ‘clown’) et U(t)z (‘idiot’ ; diminutif de Ulrich ; cf. BRUDERER 1976 : 352, 355)8.

      1.2.3. Travaux à orientation phraséologique

      Le cas des prénoms est traité dans quelques études consacrées aux phrasèmes contenant un nom propre. Pour l’allemand, signalons en particulier les travaux de FLEISCHER (1976/1982), KUDINA & STARKE (1978), NASAROV (1978), FÖLDES (1984/85, 1987, 1989, 1990), DANIELS (1994), HÄCKI BUHOFER (1995), NASAROV & BACHRIDDINOVA (2002), GANZER (2008) et FILATKINA & MOULIN (sous presse), pour le français ceux de PALOUKOVA (1982/83), BERNET (1989) et ALBA REINA & MORA MILLAN (1995). La question de la fréquence des phrasèmes à composante onymique est contestée : alors que FÖLDES (1990 : 337, 1996 : 137) leur accorde une place importante dans le système phraséologique de l’allemand, tant du point de vue quantitatif qu’au niveau de leur diversité formelle, HÄCKI BUHOFER (1995 : 495) fait remarquer à juste titre que de nombreux phrasèmes qui figurent dans les dictionnaires ne sont plus employés1. S’ajoute à cela le fait que ce type de phrasèmes peut être défini de manière restreinte et s’appliquer aux seules unités contenant un nom propre au sens étroit (Ich will Emil/Matz/Meier heißen, wenn …), ou de manière plus large, incluant les dérivés (Das kommt mir spanisch vor).

      Selon FLEISCHER (1976 : 3), l’emploi phrasémique des noms propres concerne avant tout les noms de personnes, et parmi eux les prénoms plus fréquemment que les noms de famille. Il s’agit de prénoms, presque exclusivement masculins selon l’auteur, qui jouissent ou jouissaient d’une certaine popularité (cf. FLEISCHER 1976 : 5 sq. ; cf. également FÖLDES 1984/85 : 177 et KOSS 1990 : 64). L’auteur (1976 : 4) soulève une question de fond concernant le statut onymique du nom de personne en emploi phrasémique. Pour lui, seuls les noms propres faisant partie d’une structure comparative (wie in Abrahams Schoß ‘en toute sécurité’) et ceux fonctionnant comme noms de personnes (Da will ich Matz heißen, wenn …) conservent un caractère onymique2. Pour KUDINA & STARKE (1978 : 190) en revanche, les noms propres en emploi phrasémique ne sauraient être considérés comme des noms propres à part entière dans la mesure où ils ne remplissent pas leur fonction primaire de référence immédiate à un individu et ne conservent qu’un lien étymologique avec leur porteur initial.

      FÖLDES, qui partage l’avis de FLEISCHER au sujet du statut (dé)onymique des noms propres (1984/85 : 177, 1989 : 133), s’intéresse essentiellement aux aspects génétiques et sémantico-stylistiques des phrasèmes à composante onymique. Partant de l’idée que l’origine de la locution peut être élucidée par un examen étymologique approfondi du nom propre en présence (cf. 1984/85 : 175), il propose de classer les phrasèmes selon l’origine du nom propre. Sa classification n’apporte toutefois pas grand-chose de nouveau : les prénoms figurent dans des locutions renvoyant à des personnages historiques (für den alten Fritzen sein) et à des contes et légendes populaires (den schwarzen Peter in der Tasche haben). Elle s’avère même problématique en ce qu’elle repose indistinctement sur le critère du domaine d’utilisation de l’expression (histoire, littérature, etc.) et sur celui du type de nom propre (toponymes, prénoms, noms fictifs tels que Dummsdorf dans aus/von Dummsdorf sein ; 1984/85 : 177). Dans un article ultérieur sur les phrasèmes allemands à composante anthroponymique, FÖLDES (1987 : 5 sq.) s’expose aux mêmes difficultés taxinomiques en retenant comme critères de classification à la fois l’origine du nom de personne (den dicken Wilhelm spielen figure parmi les phrasèmes avec des ‘noms nationaux allemands’, seit Adams Zeiten parmi ceux contenant le nom d’un personnage biblique), l’origine géographique de l’expression (Autriche et Suisse pour dar isch en Joggel ‘c’est un idiot’ ; Angleterre pour John Bull) et le domaine d’utilisation initialement associé au nom propre (l’histoire dans le cas de Potemkische Dörfer). L’auteur (1987 : 11 sqq.) distingue ensuite deux voies de constitution du sens phraséologique (« Wege der Umdeutung »), la métaphore (David und Goliath ‘le grand et le petit’) et la métonymie (blauer Anton ‘bleu de travail’), et identifie trois facteurs influençant le choix du nom propre : la fréquence du nom de personne (Hans), la phonétique (den (heiligen) Ulrich (an)rufen ‘vomir’3) et le jeu de mots (ein Baron von Habenichts ‘sans-le-sou adoptant des allures visant à cacher sa condition’)4. FÖLDES a consacré une autre étude aux différents types de modifications et aux fonctions des phrasèmes à composante onymique dans leur emploi textuel (1996 : 160 sqq.).

      DANIELS (1994 : 27) propose une classification morphologique détaillée des phrasèmes, distinguant les noms simples (Frau Raffke), les ensembles ‘prénom +nom’ (Lieschen Müller), les paires (Hinz und Kunz), les ensembles ‘adjectif +nom’ (dummer August), les locutions (Arche Noah), les comparaisons (frech wie Oskar), les syntagmes (den heiligen Ulrich anrufen), les proverbes (Was Hänschen nicht lernt, lernt Hans nimmermehr).

      Dans sa thèse intitulée Deutsche Phraseologismen mit Personennamen (2008), GANZER analyse 926 phrasèmes contenant un prénom ou un nom de famille issus essentiellement d’ouvrages de référence5. Sur la base de l’existence ou non d’un individu identifiable associé au nom de personne, l’auteure (2008 : 52 sqq.) distingue les phrasèmes déterminés (« determinierte Phraseologismen », ex. seit Adams Zeiten) des indéterminés (« undeterminierte Phraseologismen », ex. jn zur Minna machen)6 avant de les classer dans les catégories ÊTRES HUMAINS, OBJETS et IDÉES ABSTRAITES. Sur la base de son analyse lexicographique des phrasèmes, GANZER (2008 : 81 sqq.) étudie enfin leur fréquence, selon elle limitée, et leur emploi textuel dans un corpus de presse, mettant en évidence leur intégration syntaxique et sémantique dans le contexte (remotivation expressive : Lafontaine ist frech wie Oskar, modification : Otto Normalverbraucher ‘l’Allemand moyen’ > Iwan Normalverbraucher ‘le Russe moyen’ ; 2008 : 113, 126).

      FILATKINA & MOULIN (sous presse) consacrent une étude aux spécificités pragmatiques de l’emploi de noms de famille dans les phrasèmes de l’allemand et du luxembourgeois. Elles soulignent notamment le fait que les noms de famille de personnalités historiques et de personnages de fiction, peu présents dans le stock phrasémique de l’allemand standard (rangehen wie Blücher ‘ne pas avoir froid aux yeux, y aller énergiquement’, Götz von Berlichingen!, injonction de laisser tranquille le locuteur), le sont encore moins en luxembourgeois. Les phrasèmes