Vincent Balnat

L'appellativisation du prénom


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: 59 sqq.). La question de savoir dans quelle mesure cet emploi référentiel peut être considéré comme appellatif reste toutefois en suspens.

      Othmar MEISINGER publie en 1924 son ouvrage Hinz und Kunz. Deutsche Vornamen in erweiterter Bedeutung, issu de ses relevés de 1904/05 et 1910, complétés par des formations du bas-allemand. Son glossaire rassemble, sur près de cent pages, des entrées consacrées à 199 prénoms masculins et 64 prénoms féminins, numérotées et classées par ordre alphabétique, et fournit des informations sur l’origine et l’emploi des déonomastiques correspondants ainsi que des phrases d’exemples ou des renvois à des œuvres littéraires dans lesquels ces formations sont attestées63. Il constitue à notre connaissance la plus importante collection de déonomastiques allemands issus de prénoms à ce jour.

      Karl MEISEN (1891–1973), spécialiste d’histoire culturelle allemande, traite de l’emploi folklorique de noms de personnes en Rhénanie (1925). L’auteur centre sa présentation sur les expressions populaires employées par un cercle restreint de locuteurs originaires d’une région bien précise. À l’exception de (deutscher) Michel, dont l’emploi n’est d’ailleurs aucunement limité à la Rhénanie, il cite essentiellement des mots désignant des hommes cruels ou des vauriens, formés à partir des sobriquets de brigands ayant sévi dans la région rhénane (dont Schinderhannes pour Johannes Bückler [vers 1779–1803]).

      Considérant que les parlers de la région de Waldeck (Hesse) sont insuffisamment représentés dans le recueil de MEISINGER (1924), Bernard MARTIN (1889–1983) publie un article Vornamen in erweiterter Bedeutung in den waldeckischen Mundarten (1926) visant à pallier cette absence. Sa liste de déonomastiques, issue du dépouillement du Waldeckisches Wörterbuch64 et de collectes personnelles, contient toutefois quelques formations comme Faselhans, Stoffel et Struwwelpeter dont l’emploi ne se limite pas à cette région. Dans une étude ultérieure, il s’intéresse aux noms communs issus de Johannes dans les dialectes de la Hesse (MARTIN 1950)65.

      Par son article dédié aux emplois nominaux des prénoms et des noms de famille (1926), Robert TRÖGEL (?-?) souhaite compléter les travaux existants en présentant des déonomastiques allemands et, plus sporadiquement, français qui sont en voie de disparition ou, au contraire, non encore attestés à l’écrit66. L’auteur propose une classification largement identique à celle de NEEDON (1896), reposant sur les catégories ÊTRES HUMAINS (dummer August), ANIMAUX ET PLANTES (Hans ‘cheval’, fleißiges Liesel ‘impatiente’ [bot.]) et INANIMÉS (Birkenhänsel ‘fouet, martinet pour enfants’, martin ‘bâton pour faire avancer les ânes’).

      Dans son ouvrage de référence Dal nome proprio al nome comune (1927), Bruno MIGLIORINI (1896–1975), spécialiste d’italien à l’Université La Sapienza de Rome et président de l’Accademia della Crusca de 1949 à 1963, étudie le passage du nom propre au nom commun dans les langues romanes, en particulier l’italien et le français67. Dès le début, MIGLIORINI (1927 : 2) précise que son objectif n’est pas de définir de manière tranchée les catégories de « nom propre » et de « nom commun », mais d’en dégager les propriétés les plus saillantes. Il propose ensuite une classification des déonomastiques selon le domaine initialement associé au porteur du nom, distinguant ainsi « il mondo cristiano » (it. moyses ‘législateur’, Gesù/jésus ‘bel enfant’), « il mondo classico » (penelope/pénélope ‘épouse fidèle’) et « il mondo profano » (gargantuà/gargantua ‘gros mangeur’). Enfin, il analyse les glissements sémantiques (« spostamenti di significato » ; 1927 : 310–329) qu’il définit comme des ‘changements de sens allant de pair avec un changement du concept (ou de l’objet)’68, citant comme exemples les dérivés marivauder et turlupiner formés à partir de Marivaud et de Turpulin (1927 : 327).

      Dans sa thèse Vornamen als appellative Personenbezeichnungen (1929), soutenue à l’Université d’Helsinki, Ewald MÜLLER (1885–1950) étudie de manière approfondie l’un des aspects centraux de l’emploi nominal des prénoms en allemand. Partant du constat que le phénomène a été traité essentiellement par le biais de présentations analysant isolément chaque nom ou déonomastique, l’auteur se fixe pour objectif d’appréhender le phénomène de manière globale et systématique (cf. 1929 : 4). Il place au centre de son étude les noms communs issus de prénoms populaires tels que Appel (‘femme naïve ou sale’ ; diminutif de Apollonia) et faule Trine, résultant d’un transfert moins conscient que dans le cas des noms renvoyant à des personnages historiques ou littéraires comme Adam et Benjamin (cf. 1929 : 5 sq.). MÜLLER opte pour une classification sémantique en distinguant 1. les formations désignant l’appartenance sociale, la profession ou l’origine géographique et 2. celles renvoyant à des propriétés individuelles (physiques ou mentales). Dans chacune de ces catégories, il classe les formations selon la présence ou l’absence d’un élément caractérisant (« Name mit charakterisierendem Zusatz » vs « Name als alleiniger Bedeutungsträger »), se concentrant sur les composés et les expressions figées dans lesquels les prénoms adopteraient plus aisément un statut de nom commun qu’en emploi autonome. Les exemples proviennent essentiellement de dictionnaires dialectaux du haut-allemand69 ainsi que de quelques dictionnaires du bas-allemand70.

      La même année, Georges DOUTREPONT (1868–1941), professeur de littérature française à l’Université de Louvain, présente son étude sur les prénoms français à sens péjoratif (1929). Ce travail met l’accent sur les mots et expressions « ayant une acception dénigrante d’une portée abstraite ou individuelle » (1929 : 6), laissant de côté les noms d’objets comme jules (‘pot de chambre’), d’emploi argotique. Il s’ouvre par un relevé de déonomastiques qui contient des indications sur l’origine, l’emploi et la signification de ces mots ou expressions, les mots complexes auxquels ils ont donné lieu ainsi que des phrases d’exemple tirées de la littérature (1929 : 6–51). L’auteur examine ensuite les causes sociales, historiques, phonétiques, étymologiques et littéraires de la péjoration de ces expressions (1929 : 53–112). Il rassemble enfin en annexe quelques noms d’animaux issus de prénoms (bernard-l’hermite, martinet [diminutif de Martin], etc.) ainsi que des mots ou expressions wallons désignant des personnes (wihot [diminutif de Wilhelm] ‘cocu’, zâbê [diminutif d’Isabeau] ‘femme de rien, gourgandine’ ; 1929 : 113–121). L’étude de DOUTREPONT repose sur le dépouillement de dictionnaires généraux et historiques71 du français, d’ouvrages consacrés aux argots72 et au wallon73 ainsi que d’œuvres classiques de la littérature française (La Fontaine, Molière, Rabelais). L’auteur passe sous silence les travaux, pourtant importants, de SCHULTZ (1894) et de KÖLBEL (1907) sur la question.

      Axel PETERSON (1898-?), dans sa thèse richement documentée Le passage populaire des noms de personne à l’état de noms communs dans les langues romanes et particulièrement en français (1929), s’intéresse aux déonomastiques de la langue populaire « dont le sens n’est pas déterminé par une allusion à une certaine personne » (1929 : III). Pour l’auteur, ce phénomène montre clairement que le nom propre est plus qu’une simple étiquette dénuée de sens, faute de quoi son emploi comme nom commun « devient quelque chose d’inexplicable, et on se demande quel est le souffle qui ranime le mort pour le faire entrer de nouveau dans la langue vivante » (1929 : 2). Souhaitant appréhender les noms propres à partir de leur fonction de communication et « dans leur relation à la pensée » (1929 : 3), il accorde une attention toute particulière aux associations qui les unissent à leurs porteurs. Dans le cas des déonomastiques issus de prénoms pour lesquels on ne peut établir d’origine individuelle, ces associations, reposant sur une multitude de référents possibles, varient plus fortement selon les locuteurs et l’environnement culturel que dans le cas de noms renvoyant à un individu identifiable :

      Faute d’élément intellectuel, les idées associées au nom propre non attribué se réduisent aux idées accessoires qui sont le résidu inconscient des attributions antérieures ou qui s’associent au nom à cause de sa forme par exemple